La petite pharmacie littéraire

Elle et lui, c’était le jour et la nuit : elle rêvait de devenir traductrice et de créer sa maison d’édition ; le dernier livre qu’il avait lu remontait à l’école primaire. Il était grand, musclé et tatoué ; elle était ronde, sédentaire et bobo.

Concrètement, le photoreportage de notre amitié se traduisait par des clichés à toute heure du jour et de la nuit, figurant d’improbables coiffures et pyjamas en polaire qui, d’après elle, ajoutaient une touche de néoréalisme à la Pasolini 2.0.

Deux adjectifs que je choisissais d’utiliser pour ne pas débiter des grossièretés. Évidemment, Caro, Rachele et moi, tels les trois mousquetaires, devions systématiquement y assister.

Le monde de l’édition est rempli de personnages étranges. J’en avais croisé plusieurs au cours de ma – hélas – brève carrière d’éditrice, mais jamais je n’aurais imaginé rencontrer pire dans celle de libraire. Prix Strega était en lice pour la première place de mon classement « La vie sur Mars » où figuraient les personnalités les plus déconnectées de la réalité.

J’avais l’impression de me retrouver à l’école un jour d’interro quand je croisais le regard du professeur qui, immédiatement, comprenait que je n’avais rien étudié du tout.

Ceux que l’on appelait les renifleurs de livres étaient facilement identifiables. À la question : « Selon vous, la librairie ressemble davantage à une bibliothèque ou à un magasin de chaussures ? », ils répondaient avec conviction : « À une bibliothèque, bien sûr. »

j’aimais les choses imparfaites, compliquées, celles qui à tout moment pouvaient me mettre en difficulté. En même temps que je prenais le risque de ne jamais savoir ce que l’avenir me réservait, je courais aussi celui de me laisser surprendre par le bonheur.

Il n’y avait rien de spontané dans ce que je faisais : j’étais devenue l’une de ces odieuses vendeuses qui veulent à tout prix vous faire acheter des chaussettes et des lacets avec votre paire de chaussures. Sachant maintenant ce qu’elles endurent, mon regard sur elles a changé : total respect et solidarité, mes sœurs, vous menez une guerre perdue d’avance.

Je suis, bien entendu, la princesse Aurore, la bécasse qui se promène avec son panier en osier en gazouillant comme un rossignol et qui trouve, pour se piquer avec, le seul fuseau du royaume.

Notre force résidait peut-être dans l’union de ces vies si différentes. Avant l’ouverture de ma librairie, Giulia m’avait dit : « Tente le coup. Si ça se passe mal, on pleurera ensemble. »