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Critique de RuhaudEtienne


Oeuvres éphémères, oeuvres fragiles, soumises aux aléas de la Nature, au mépris des vivants, les manifestations d'art brut disparaissent généralement sans bruit. Quelques passionnés défendent parfois ces créations spontanées au moyen d'une pétition, d'une mobilisation aussi restreinte que désespérée. Et puis plus rien. le jardin merveilleux s'efface, rongé par la forêt, pillé, ou tout simplement détruit. L'ensemble de sculptures termine à la décharge, et tout le monde oublie. de rares « grandes » réalisations se maintiennent, tel le Palais idéal du Facteur Cheval, dans la Drôme, ou l'étrange Villa des cent regards, à Montpellier. Maçons, poètes du dimanche, autodidactes, et autres originaux finissent généralement dans le brouillard, loin des institutions officielles.

C'est justement pour protester contre cet état de fait, et pour rendre un dernier hommage, que Denis Montebello célèbre aujourd'hui la maison de la Gaieté. Située à Chérac, en Charente Maritime, ornée de grandes mosaïques fleuries, de tessons, de cassons de vaisselle et de fragments, l'auberge appartint longtemps aux Villéger, père et fils, tenanciers avisés et artistes amateurs. Les anciens du village se souviennent des bal-musettes, des concerts ou des pièces de théâtre donnés là, avec une pointe de nostalgie. Soumis à la pression immobilière, trop cher à entretenir pour la nouvelle municipalité, l'établissement est en effet promis, à très court terme, à une démolition que rien ne peut entraver : ni la constitution d'une association de défense, ni la vidéo de présentation circulant sur YouTube, avec pour fond sonore les voix traînantes de Jean Gabin et de Damia, interprétant des airs de guinguette datant du Front Populaire.

"Descendu de mon rêve (interdit de jardin), je me demande si ces fragments constituent une oeuvre. S'ils composent seulement un paysage. Qu'est-ce qu'ils signent, alors, nos deux artistes ? Imitent-ils Pierre Loti avec leur maison ?" s'interroge l'écrivain. « Archéologue d'autoroute » pour reprendre les termes d'un précédent volume, l'homme entend retracer l'histoire du lieu. La tâche n'est pas simple : car s'agit-il de parler de la maison, de ce qu'elle fut, ou de soi-même, de notre propre rapport à l'objet ? Texte mélangé, singulier, ce nouveau livre tient à la fois de l'essai, de la confession et de la promenade, d'une sorte d'errance délibérée, de vagabondage livresque. Évoquant le parcours des Villéger, le destin de leur étrange baraque, D. Montebello dévide le fil de ses propres souvenirs, de l'enfance lorraine, éden perdu, tel la maison, à la maturité, au milieu du Poitou. « L'instant biface du réveil », « Resséante et voyagère » : s'ensuit une série de chapitres au titre original, comme autant de digressions poétiques, comme les riches billets du blog « Cotojest », où se marient réminiscences, éruditions, conversations, fragments du présent et paysages vus en rêve. Loin des grosses machines littéraires de la rentrée, Denis Montebello poursuit ici un travail unique, inclassable, mélancolique et actuel.

Critique d'Etienne Ruhaud parue dans "Diérèse" 69.
Lien : https://pagepaysage.wordpres..
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