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Critique de Kirzy


Kirzy
11 décembre 2019
Une mère et un fils se racontent dans une alternance de chapitres, chacun avec son « je » en bandoulière, cherchant à se justifier en interpellant directement le lecteur ( un peu trop d'ailleurs )
.
Dès les premières pages, on apprend que le fils a commis un crime terrible qui lui vaut de patienter dans une cellule en attendant l'application de sa condamnation à mort. le lecteur devine très vite quelle est la nature de cet acte ( dévoiler à la fin de la quatrième de couverture ) mais ce n'est absolument pas gênant, la tension s'installe progressivement jusqu'à comprendre l'engrenage tragique, l'écheveau psychologique se démêlant chapitre après chapitre à travers les deux regards des narrateurs. On est au plus près de leurs émotions.

De ces deux personnages à fleurs de peau, c'est d'abord celui de la mère qui m'a interpellé. Un magnifique personnage de femme au bord de la crise de nerf, éminemment romanesque. Belle, trop belle pour les hommes de son village misérable qui la harcèlent et la convoitent dès son adolescence. Rebelle aussi. Terriblement acculée, au point de ne faire le choix de se marier avec le premier du village qui lui promettra une vie à Tunis, la capitale, son rêve pour fuir ce qu'elle ne supporte plus. Mais elle se retrouve isolée, pauvre, avec un mari puis un fils qu'elle n'a pas désiré.

Puis c'est le fils, celui qui vit depuis la naissance avec le drame universel de ne pas être aimé de sa mère, celui qui perd son père tant aimé, déboussolé à errer dans Tunis sans parvenir à trouver un sens à sa vie. Dans les premiers chapitres, il m'a fait pensé à Meursault de l'Etranger de Camus, pour son indifférence et sa froideur apparente. Vers la fin de son récit, sa bascule dans une quasi folie avant son passage à l'acte est saisissante :

« Après avoir traversé la place de la Kasbah et fait quelques pas dans les souks de la médina, j'ai eu la sensation que quelque chose avait poussé dans mes fesses, quelque chose comme une queue. Terrorisé, j'ai regardé autour de moi et vu les gens qui lorgnaient mes fesses, les uns stupéfaits, les autres se moquant avec une joie mauvaise. (...) Les éclats de rire étaient de plus en plus bruyants et bientôt, je n'ai plus vu face à moi que des bouches aussi obscures que des grottes ? Je me suis mis à courir et me suis retrouvé dans une ruelle totalement déserte. Je me suis adossé à un mur qu puait l'urine et l'odeur des ordures amassées là depuis plusieurs jours, puis j'ai touché mes fesses. (...) J'ai regardé entre mes cuisses et je l'ai vue pendre, repoussante, horrible. Je me suis redressé. Mon corps s'est couvert d'une sueur froide, froide comme de la glace, froide comme une gelée hivernale. J'ai fermé les yeux en souhaitant que la terre m'engloutisse à cet instant. »

L'auteur s'est inspiré d'un fait divers advenu dans les années 70 et a fait le choix judicieux de le transposer à la société tunisienne des années 2000, en fin de règne de Ben Ali, un moment charnière où les crises sociales ont explosé dans les quartiers populaires. Ce crime que commet le fils est quasi symbolique, comme un crime contre soi-même, contre sa situation sociale sans issu, comme une fuite loin de la dure réalité. Les parcours du fils et de la mère sont ainsi inscrits dans quelque chose qu'ils subissent mais qui les dépassent : le carcan du patriarcat, la condition féminine tunisienne, la recherche de liberté. le portrait de la société tunisienne est sans appel, rongée par la misère, la jalousie et les rumeurs.

Malgré quelques longueurs dues à des répétitions, ce roman est très pertinent et maintient le lecteur en haleine grâce à ce duo de personnages intéressants.

Je suis ravie d'avoir découvert cette maison d'édition tunisienne qui permet de faire voyager des livres parus en langue arabe du Sud vers le Nord, de l'autre côté de la Méditerranée.
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