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Critique de alvastarr


Un roman noir se déroulant en Espagne et au Portugal, voilà qui retient l'attention. Mais à Madrid, Saint Sébastien, Lisbonne, point de lumière ni de chaleur, seulement des ruelles sombres, des hôtels glauques, des bars et des clubs de jazz dont les néons colorent la nuit et les visages. On se croirait presque dans le Grand Sommeil, s'il n'y avait les sonorités des noms propres, le cri d'une mouette, et la mer, tout de même omniprésente. Comme de juste, on comprend à peine l'intrigue, mais on est immergé dans une atmosphère glauque, faite de bruine pénétrante, de chambres pas très nettes, de vapeurs d'alcool et de lumières électriques. Et bien sûr, on est aussi fasciné par le couple formé par Bogart et Bacall, pardon, Santiago et Lucrecia, qui ne cessent de se rejoindre furtivement, pour se quitter aussitôt, toujours pressés, menacés, incapables de vivre l'un sans l'autre, mais tout aussi incapables de vivre ensemble. L'intrigue est donc secondaire, même si les « méchants poursuivants » sont au final mieux dessinés que ceux des films noirs américains, moins accessoires. Ce qui envoûte encore, c'est la musique, le jazz de Santiago et de Billy Swann son ami, qui pas un instant ne cesse d'accompagner les gestes et les états d'âme des personnages, et qui se fond avec l'écriture hypnotique de Munoz Molina pour rendre le lecteur totalement captif. Et ce qui transporte enfin, mais déroute aussi, c'est la formidable réflexion sur le temps qui passe, ou ne passe pas d'ailleurs, vu que Munoz Molina s'efforce de le suspendre, de le dilater, de le tordre en tous sens. Ses personnages luttent contre sa linéarité, contre l'emprise du passé qui empêche de vivre, de même que Munoz Molina déconstruit la chronologie, entraîne le lecteur d'une époque à l'autre, d'une ville à une autre, dans une sorte d'errance qui, paradoxalement, structure parfaitement le récit. Santiago veut se libérer du passé, sans jamais y parvenir, sauf peut-être quand il joue, tentant finalement de vivre sa vie comme sa musique, au présent. On ressort de cette lecture, mouillé, légèrement ivre, les mains moites, la gorge irritée par la fumée de cigarettes, mélancolique mais heureux. Un grand roman.
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