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Critique de Lune


Entre novembre 2010 et juillet 2011, Haruki Murakami réalisa six interviews du chef d'orchestre Seiji Ozawa.
Ce livre en est la compilation, presque le verbatim.
Il ne s'agit pas d'interview classique qui viserait à donner une esquisse de la biographie d'Ozawa, mais de conversations dont le sujet central est la musique.

Le contenu est pointu; ce qui pourrait décourager les non musiciens mais il est très riche.
La richesse vient non seulement des thèmes abordés, mais également de la confrontation fructueuse de deux univers artistiques : celui du romancier et celui du musicien.
Bien que s'étant trouvé des similitudes dans leur manière de travailler (le plaisir que leur procure leur travail, la « flamme » qui les habite depuis leur plus jeune âge, la persévérance, la rigueur et l'obstination à obtenir ce qu'ils ont décidé), deux visions de la perception de la musique apparaissent clairement.

Murakami n'est pas musicien. Il confesse d'ailleurs humblement un manque sur le plan technique et regrette de ne pas toujours posséder le vocabulaire adéquat,mais il est un passionné de musique qu'il écoute quotidiennement, classique comme jazz.
Insatiable donc, il est intarisable pour faire comprendre ce qu'il a perçu des différentes versions enregistrées de mêmes oeuvres.
Il possède « le verbe ».

Ozawa n'est pas romancier et se heurte parfois au « mur des mots » selon la jolie expression de Murakami.
Il s'exprime donc - on le voit, on l'entend presque - par gestes, ou onomatopées tantôt pour faire comprendre une phrase musicale, tantôt un rythme…

En bref, Murakami parle DE musique et Ozawa parle LA musique.

Au fil des conversations apparaissent certains sujets récurrents.
Tout d'abord, se dégagent des précisions sur le travail du chef d'orchestre.
Ozawa ne fait pas de véritable discours sur le sujet, mais, à travers les réponses qu'il apporte aux questions de Murakami, il fait percevoir la différence de travail entre celui du chef permanent, directeur musical de son orchestre dont il est chargé de construire la programmation, et celui du chef invité, du chef à l'opéra ou du chef qui dirige un orchestre saisonnier réunissant des musiciens parmi les meilleurs du monde pendant leur temps libre, en été, et qui viennent justement pour le chef.
C'est le cas d'Ozawa avec le Saito Kinen Orchestra qu'il dirige chaque année à Matsumoto au Japon, à l'instar du Malher Chamber Orchestra fondé par Claudio Abbado à Lucerne.

Apparaissent aussi les amitiés professionnelles qui se nouent entre Ozawa et certains musiciens des orchestres qu'il a dirigés.
On sent de sa part une certaine admiration et un profond respect pour leur talent.

Ensuite, deuxième sujet récurrent, celui de la transmission.
C'est une tradition dans le monde musical professionnel de haut niveau et que l'on retrouve avec Ozawa.
L'élite se construit par transmission du savoir de maître à élève doué, admis ensuite parmi ses pairs dans le cercle des « grands », par une sorte de cooptation.
L'élève devenu maître à son tour est amené lui aussi à transmettre.
Ainsi, Seiji Ozawa cite et se réfère sans cesse à son professeur au Japon : Hideo Saito.
D'où le nom que porte l'orchestre saisonnier qu'il dirige : le Saito Kinen Orchestra, Kinen voulant dire commémoration en japonais.

Ainsi explique-t-il ce qu'il doit à Herbert von Karajan et à Léonard Bernstein.
Il fut leur assistant à ses débuts. Très différents dans leur conception de la musique et du rôle du chef, ils lui ont tous deux fait confiance et contribué à ses premières réussites.
Ainsi, aujourd'hui, Ozawa organise, chaque année, deux sessions consacrées spécialement au quatuor à cordes : l'une au Japon à Okushiga, l'autre à Rolle près de Montreux, sur les bords du lac Léman.
S'entourant des meilleurs spécialistes de la discipline, il apporte toute son attention et son immense expérience à de jeunes prodiges promis à un bel avenir.

En fait, et pour conclure les impressions sur ce livre magnifique par sa sincérité et son humilité, les leçons à tirer de ces conversations admirablement menées par Murakami pourraient être celles-ci : passion, transmission, écoute, qualités que possède Seigi Ozawa pour nourrir son travail inlassable et tenter de parvenir à la perfection, toujours inatteignable, particulièrement au niveau du son auquel il accorde la plus extrême importance.

Un livre pointu certes, mais capital pour comprendre l'univers musical du grand chef d'orchestre qu'est Seiji Ozawa.

Cantus
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