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Critique de HordeDuContrevent


Onirique et métaphorique. Voilà les maitres mots de ce livre, un de mes livres préférés, relu à dix-huit ans d'intervalle. Je l'ai encore plus apprécié. Comme si les métaphores me parlaient davantage, comme si les années, l'âge, m'apportaient un angle de lecture différent. Je le relirai dans vingt ans, je suis certaine que la magie de Murakami opèrera encore, toujours, et surtout différemment. N'est-ce pas le propre d'un chef d'oeuvre que de nourrir son lecteur toute sa vie durant, de lui apporter des clés chaque fois différentes ? de le faire grandir ?

Nous suivons la quête de deux personnages au destin entremêlé. Un jeune adolescent de quinze ans et un vieux monsieur un peu simple, du moins qualifié d'anormal parce que suite à un fait mystérieux passé pendant son enfance, il a perdu totalement la mémoire, et ne sait plus lire ni écrire. le premier cherche à fuir une prédiction, le second à retrouver la moitié de son ombre (celle-ci est en effet deux moins sombre qu'une ombre normale). Ce faisant il va permettre de fermer la pierre de l'entrée, celle qui a été ouverte il y a des décennies et qui a provoqué un certain nombre d'événements. Dis comme ça, ça parait étrange...Il faut en effet se laisser aller, lâcher prise et accepter d'être embarqué dans une quête délicieusement onirique, presque magique, en tout cas captivante.

Mais ce livre, où les chats parlent, où des pluies de sardines et de sangsues peuvent se produire, n'est pas qu'un livre un peu étrange, non, c'est une vraie tragédie grecque, vécue par un adolescent japonais au nom d'emprunt tchèque de Kafka. le héros a en effet choisi le prénom de Kafka, qui signifie corbeau en tchèque, en fuguant de la maison paternelle. Il porte en lui une blessure vive qui le consume : sa mère l'a abandonné à 4 ans, est partie de la maison familiale avec sa soeur adoptive, et son père lui a prédit qu'il le tuerait et qu'il coucherait avec sa mère et sa soeur ! Sa fugue a pour but de fuir cette prédication. Oui, une tragédie. Au sens grec du terme. Quand ce ne sont pas les hommes qui choisissent leur destin mais le destin qui choisit les hommes. Comme le sent le jeune Kafka : « J'ai l'impression de suivre un chemin que quelqu'un d'autre a déjà tracé pour moi. J'ai beau essayer de comprendre, cela me semble complètement inutile. Ou plutôt, j'ai l'impression que plus je fais d'efforts pour comprendre, moins je suis moi-même. Comme si je m'éloignais de ma propre trajectoire. C'est terrible comme sensation. Cela me fait peur. Rien que d'y penser, je me sens pétrifié ».

Malgré cette distanciation, meurtre il y a. Malgré la fuite et l'isolement, accouplements il y a. Sont-ils vraiment commis ? Si l'on imagine tuer ou si l'on tue en rêve, est-ce qu'on tue réellement ? Emprunte-t-on des circuits particuliers aux rêves pour aller tuer dans la vie réelle ? Si l'on fait le rêve de faire l'amour avec une femme non consentante, a-t-on réellement abusé cette personne ? La responsabilité commence-t-elle dans l'imagination ? Comment ce qu'on fait en imagination laisse des traces dans la vie réelle ? Quel rôle joue vraiment le vieil homme, Nakata, quant à la réalisation de ces événements ? Est-il un « esprit vivant ». Comme l'explique Oshima à Kafka: « Je ne sais pas comment cela se passe dans les autres pays mais au Japon, ce genre de phénomène est fréquemment évoqué dans la littérature. le Dit du Genji, par exemple, regorge d'esprits vivants. À l'ère Heian, ou en tout cas dans le monde mental de cette époque, les gens pouvaient se transformer dans certains cas en esprits vivants. Ils avaient alors le pouvoir de se déplacer dans l'espace et d'accomplir ce qu'ils souhaitaient ». Nakata est-il l'instrument du destin permettant d'accomplir la prédiction et de faire en sorte que les choses redeviennent normales ?


Ce roman, c'est également l'expérience de la solitude du jeune Kafka, sa communion avec la nature. C'est la quête entremêlée de Nakata considéré par la société comme simple et handicapé, le seul qui sait vivre l'instant présent, terriblement attachant, d'une sagesse profonde et touchante.

Comme souvent dans les romans de Murakami, il y a la présence des chats, leur importance, leur connaissance du monde. Il y a ces gestes du quotidien, comme se laver, ranger, laver, cuisiner, ces petits gestes accomplis avec conscience qui font la grandeur et l'honneur d'une personne, qui la structurent. Il y a ces personnages secondaires si beaux et attachants. Comme toujours dans ses livres, nous retrouvons la présence de la musique, du jazz, en passant par Prince et Radiohead, jusqu'à la musique classique (le fameux morceau "A l'archiduc" de Beethoven) et des références cinématographiques, notamment Truffaut, que l'auteur semble tant aimer.
Et sinon, sinon, tout est métaphore, tout est clé, tout est rêve et imagination. C'est magique et vous entraine loin.

Ce livre me bouleverse toujours autant, me parle, me fait écho. Il est pour moi un livre repère, un guide. Un livre que j'amènerais sur une île déserte.

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