AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de kuroineko


Murakami Haruki ici échange son costume de romancier pour celui de journaliste.
20 mars 1995: la secte Aum lance plusieurs attaques terroristes au gaz sarin dans différentes rames du métro de Tôkyô. Les poches transportant ce gaz mortel ont été percées à une heure de grande affluence, occasionnant des morts et des milliers de blessés.

Dans une première partie, Murakami apporte les témoignages de survivants de l'attaque, ou de proches ayant perdu un des leurs dans cette tragédie. La parole y est libre et l'écrivain n'intervient que très rarement dans les récits. Il est juste là pour recueillir. Se croisent les histoires d'employés du métro directement aux prises avec le drame, des salary-men ou office ladies passagers au mauvais endroit et au mauvais moment. Au-delà du récit purement événementiel, ces témoignages donnent un aperçu du rapport au travail au Japon. Malgré la panique, le caractère extraordinaire de l'attaque et les symptômes dus au gaz, tous pensent en premier à leur travail: régler le problème pour les employés du métro, ne pas arriver en retard au bureau pour les autres. Beaucoup arrivent donc sur leur lieu de travail malades et aveuglés par le sarin, avant d'être hospitalisés.
Ces récits montrent aussi le manque flagrant de communications entre les hôpitaux, les services d'urgence et de police pour assurer la prise en charge de toutes ces victimes. Ce qui ressort de nombreux témoignages, c'est la colère à l'encontre de l'incurie des services publics pour gérer une telle situation d'urgence.
Quant aux réactions vis-à-vis d'Aum, elles divergent selon les personnes. Pourtant, bien peu sombrent dans la haine et le ressentiment, même si beaucoup demandent les condamnations des coupables, à commencer par le gourou Asahara Shôko. A noter que lors de la parution de son livre au Japon, les procès étaient encore en cours. D'ailleurs, ils le sont toujours aujourd'hui pour certains membres retrouvés seulement en 2012. Quant à Asahara, il fut condamné à mort en 2004 mais attend aujourd'hui encore son exécution.

Dans une seconde partie, Murakami donne cette fois-ci la parole à des membres (anciens ou toujours actifs) de la secte Aum Shinrikyo. Ici le ton change et se fait plus journalistique. Il pose des questions, pousse parfois ces personnes dans leur retranchement, mais sans se départir de son objectivité. Cette partie se révèle également très intéressante. Elle décortique notamment les mécanismes de la secte (et plus généralement des sectes). A l'origine de leur adhésion, toutes les personnes interrogées vivent en souffrance dans le monde, perdues et se sentant déphasées par rapport à la société. de cours de yoga et de méditation dans des dojo de la secte, à la lecture de leur magazine jusqu'à prononcer des voeux et se retirer du monde séculier pour faire partie des élus, les parcours sont tous identiques. Ces personnes pensent trouver a sein d'Aum ce qui leur manque, des frères et soeurs qui partagent leurs points de vue, des maîtres leur disant ce qu'ils doivent penser, ... Les témoignages donnent un aperçu de la vie quotidienne des "samana" retirés: le travail excessif, les ascétismes épuisant, les sévices pour certains en désaccord avec l'organisation.
Quant aux attentats, ils provoquèrent doute et incompréhension chez la plupart des membres interrogés. Certains quittèrent alors la secte à ce moment.
Les divers récits formant cette seconde partie éclairent et expliquent l'intrigue de "1Q84". Ils permettent également une réflexion sur le malaise courant dans nos sociétés consuméristes, porte ouverte à ces dérives sectaires. On se retrouve facilement dans les questions que posent les membres au monde d'aujourd'hui.

Murakami prouve une fois de plus son talent. Son oeuvre n'est pas sans rappeler "Notes d'Hiroshima" d'Oe Kenzaburo. Il est dommage que la traduction française arrive si tardivement.
Commenter  J’apprécie          270



Ont apprécié cette critique (25)voir plus




{* *}