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Critique de VincentGloeckler


" le parvis de la poste
un réservoir de rêves
éclatés
des gamins avachis
roupillent
en toisant le ciel
bouche ouverte
paupières incendiées
par la colle
dans leurs rêves
océan d'images incandescentes
ils dansent
jusqu'à se briser l'épine dorsale
la danse du vilain
la danse de ceux qui méprisent l'argent
jettent l'argent par la porte
jettent l'argent par la fenêtre
par les latrines
et les égouts
des gamins, des gamins,
ils dansent et dansent
la merveilleuse danse du vilain " (p.261)
A l'image de ce petit poème endiablé qui le clôt, on retrouve avec plaisir dans ce roman, après l'exquis Tram 83 (Métailié, 2014), la plume truculente de Fiston Mwanza Mujila, pour une épopée baroque, inspirée du meilleur réalisme magique, entre Zaïre et Angola, à Lubumbashi ou au coeur du Katanga, des noms qui évoquent des guerres civiles interminables et d'affreux trafics de diamants, à la fin du règne du tristement inoubliable Mobutu. Sanza, un adolescent qui ne supporte plus la routine familiale, fuit la maison de ses parents et s'installe sur le parvis de la Poste à Lubumbashi, refuge et base d'opérations de plusieurs bandes de gamins de la rue. Dès son arrivée, pourtant, le voilà mal reçu, humilié par le petit gang de Ngungi, Anarchiste et Le Blanc. Mais ce trio découvre bientôt la puissance de son intelligence et la force de ses poings, et Sanza devient l'ami de Ngungi, un enfant-sorcier qui lui raconte ses rêves, ses explorations en soucoupe volante d'un inframonde, peuplé de nababs, bâtissant fortunes et châteaux, se gavant dans d'opulentes orgies… Quand on parlait de réalisme magique ! La réalité, pourtant, est moins drôle, faite de petits larcins, de bagarres et d'évasions à coup de colle à sniffer. Un jour de détresse, Sanza est recueilli par Monsieur Guillaume, qui, sous son habit de bon Samaritain, se révélera bientôt, le responsable local de la redoutée DDD, un service de renseignements aux méthodes sadiques et brutales… Face à cette Cour des miracles de Lubumbashi, peuplée de petits caïds, de gourous fantasques et de barbouzes cultivés, le roman dresse la figure imposante de Tshiamuena, la Madone des mines de Cafunfu. « Conteuse hors pair », cette bavarde impénitente prétend avoir vécu plus de deux cents ans (et cela nous rappelle certaine grand-mère sud-américaine !) et s'emploie à veiller sur le petit monde des orpailleurs et autres chasseurs de diamants en Angola. Elle charge Franz, un écrivain autrichien arrivé là à la recherche de renseignements sur les « gendarmes katangais » pour rédiger un roman, d'écrire ses mémoires, tout en se révélant elle-même comme une étonnante biographe de l'écrivain… Curieux renversement des rôles, assez logiquement appelé par la logique carnavalesque du roman, habile mise en abyme aussi (Fiston Mwanza Mutila, bien que congolais, habite en Autriche !) dans ce jeu de miroir interne au texte ! Tandis que les rebelles de l'armée de libération menacent le pouvoir de Mobutu, c'est sur la piste du Mambo de la fête, la boîte de nuit de Lubumbashi, que tous se retrouvent, Franz, les mineurs, les nantis de la ville et la faune de la Poste, dans le grand brassage social et culturel d'une rumba exultante, la Danse du Vilain, dix-huit minutes ou une heure trente-sept ( !) de transe, selon les soirs. Et Franz/Fiston encore, c'est là, au milieu du tintamarre, qu'il nous taille, pour les ranger dans sa valise de phrases ou dans le texte du roman, ces petits diamants verbaux : « Ils le caressaient dans le sens du poil pubien », « ils nasillaient des rêves… », « on baigne dans un monde bâclé », « Un homme amoureux peut être chiant, encombrant, vraiment casse-pied comme un sac-poubelle qu'on a pas vidé depuis un mois », « c'est un homme à gonzesse. Un gars comme lui, ça ne pisse pas au sol »… Alors, vous hésitez encore ? Entrez dans la danse, la danse du Vilain !
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