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Critique de Chestakova


Roman brillant, construit d'une traite en flux tendu, d'une écriture puissante, toute en distance, en suggestion, comme en surplomb des personnages, qui y gagnent un relief hors du commun. le lecteur en vue panoramique, pénètre d'emblée dans l'univers tout en mystère et en questionnement du personnage principal Me Susane.
« La vengeance m'appartient » se présente au fil des pages comme un labyrinthe tortueux autour de la question de l'identité, celle que porte en lui tout être humain. Avec virtuosité, Marie N'Diaye réussit à nous convaincre que cette identité est multiple, complexe, déchirée de mouvements antagonistes, à la manière du théâtre antique, la dimension dramatique de la condition humaine y est inscrite. Aussi n'est-ce pas un hasard si Me Susane, par le nom qui la désigne, apparaît dans sa fonction professionnelle d'avocat, pas de prénom pour elle dont le nom pourtant en est un, travesti, caché. Ce jeu de noms dit déjà beaucoup du personnage, tout entier construit autour du doute d'elle-même. La force du livre est de suggérer ce doute, dans la répétition d'allusions subtiles, le portrait se met en place, avec la légèreté d'une aquarelle ; ainsi lorsque Me Susane donne à Sharon son écharpe en cashmere orange, cadeau de sa mère : « elle ne l'avait jamais portée, trop peu sure de son propre éclat pour arborer ce feu à son cou ». Ce doute qui hante Me Susane, prend corps dès la première page du livre avec un personnage : Principaux, par qui la vie de Me Susane va s'enfoncer dans un questionnement fébrile, bien au-delà de la question répétée comme un leitmotiv : « Qui était Principaux pour elle » ? Progressivement, au fil du récit, les personnages qui se mettent en place, développent, chacun à sa manière, leur propre divorce intérieur, et le mystère parfois s'installe pour justifier des caractères qui changent et s'assombrissent jusqu'à celui de la petite Lila, 7 ans. La ville qui sert de cadre au récit n'échappe pas à ces contrastes, des noms de rue apparaissent mais Bordeaux n'est jamais véritablement décrite, seule son atmosphère transparait au travers des ressentis météorologiques, il s'en dégage une image glaciale : le gel, le brouillard font paysage, paravents virtuels au passé esclavagiste qui se cache derrière la ville royale. le sentiment de culpabilité qui assaille Me Susane jusqu'à son voyage à l'ile Maurice, et ce client qui se rappelle sans cesse à elle, afin qu'elle lui permette de se débarrasser de son nom, legs d'un lointain ancêtre négrier, ne sont pas des points de détail dans le roman.
Roman de l'interrogation sur l'apparence et la réalité de chaque vie, la dimension métaphorique est constamment présente ; avec Sharon, femme de ménage de Me Susane, mauricienne sans titre de séjour, l'envers positif pourtant de sa patronne, forte et sereine, porteuse de lumière, dispensatrice de chaleur et de bien-être, avec les parents de Me Susane, dans la méconnaissance profonde qu'ils ont de leur enfant, et bien sûr avec le couple Principaux, chacun endossant la perversité de l'autre, brouillant les pistes.
Magistrale leçon d'écriture pour ce décryptage des contradictions de la nature humaine.
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