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Critique de Iboo


Iboo
18 décembre 2017
Enfant dans les années 50, j'ai grandi à Paris dans un milieu ouvrier et mon père était coco. Aujourd'hui encore, je garde un souvenir ému de cette période de ma vie : la franche camaraderie du monde ouvrier, la Fête de l'Humanité juchée sur les épaules de papa, les Choeurs de l'Armée Rouge... Ah, les Choeurs de l'Armée Rouge ! J'en frissonne encore d'émotion, "Plaine ô ma plaine...", j'étais à des lieues de mesurer toute la souffrance qui planait sur ce chant magnifique.

Adolescente, je rêvais toujours du grand soir...
"Du passé faisons table rase,
Foule esclave, debout, debout
Le monde va changer de base,
Nous ne sommes rien, soyons tout.
C'est la lutte finale ;
Groupons nous et demain
L'Internationale
Sera le genre humain."
Comme il était beau et grand mon idéal que je défendais le poing levé et le front haut, étouffée par mon ignorance et confortée dans l'existence facile dont jouissait la petite parisienne dogmatique que j'étais.

Même aveuglement borné de 17 à 25 ans alors que ces huit années proche de la famille de mon premier amour auraient dû me faire douter de mes "convictions". Le père de celui-ci était d'origine ukrainienne : Vladimir Atamaniuk était arrivé en France dans le milieu des années 30 à l'âge de six ans, ne parlant pas un mot de français. Quand je l'ai connu il avait un garage de carrosserie-tôlerie, rue de l'Égalité (un signe) et pour tout le quartier, il était M'sieur Vladi, un homme apprécié de tous, travailleur, bon père de famille et qui...taisait obstinément toute la partie de sa vie liée à son enfance. Je viens de comprendre maintenant que si je connaissais bien M'sieur Vladi, je n'ai jamais "rencontré" Vladimir.
Je ne me suis pas plus posée de questions quand nous allions voir sa grand-mère Ioulia, avec son éternel fichu sur la tête, son tablier à fleurs et qui, malgré toutes ces années en France ne s'était jamais départie de son accent ukrainien. Je trouvais incongrue cette manie qu'elle avait de cacher dans ses placards, ses armoires, des quantités astronomiques de conserves, de denrées pour la plupart périmées et même du pain rassis ou du beurre rance, comme s'il y allait avoir la guerre demain. Ça me suffisait de penser que la vieille dame était un peu folle. Je sais maintenant que c'était le symptôme des survivants du Holodomor.

J'écrasais de mon mépris ceux qui tentaient de m'ouvrir les yeux sur les pratiques staliniennes ou maoïstes et la réalité de la dictature communiste. Je leur ricanais au nez en niant tout en bloc, les renvoyant à "leur trouille et à leurs fantasmes réactionnaires".
Ma ferveur a commencé a s'étioler timidement dans le début des années 70 à peu près au même moment où Yves Montand - notre icône - a reconnu officiellement son aveuglement face au Stanilisme. Aveu (tel le titre de son film) qui lui a valu pour les communistes français, tel mon père, d'être considéré comme un traître à la cause.
Cette prise de doute liée à ma curiosité et à ma passion de la lecture a, rapidement et définitivement, mis un terme à mon étroitesse d'esprit et détruit à jamais en moi toute volonté d'adhésion bornée à une idéologie quelle qu'elle soit.

Ce que je viens d'écrire n'est pas dans l'intention de vous raconter ma vie ni dans l'idée de m'auto-flageller mais pour confirmer que tout ce dont témoignent Philippe et Anne-Marie NAUMIAK dans le chapitre "Le déni de mémoire ou de la difficulté d'être Ukrainien en France", est l'absolue vérité. Je le sais parce que je l'ai vécu et y ai participé. Participé sans réelle méchanceté mais par pur esprit dogmatique tel que l'on peut en être capable quand on est jeune, ignorant et un peu trop bêtement idéaliste.

En 2008, mon fils alors âgé de 24 ans, a entrepris un périple à travers l'Europe dans sa petite Kangoo qu'il avait lui-même aménagée de manière à pouvoir y dormir et manger à moindres frais. Le hasard l'a conduit à Uzhgorod, à la frontière de la Slovaquie et de l'Ukraine. Là, dans des circonstances totalement ubuesques que je ne développerais pas ici car ce n'est pas le sujet, il s'est retrouvé emprisonné durant quatre jours puis assigné à résidence durant plus deux mois à Uzhgorod. À noter qu'à cette même période huit autres jeunes Français ont été victimes des mêmes abus de pouvoir orchestrés par les douanes, la police et le système judiciaire ukrainien toujours aussi véreux malgré l'arrivée au pouvoir du Président Viktor Iouchtchenko (2005-2010) pourtant déterminé à lutter contre cette corruption. Force est de constater que les manières russes sont toujours aussi actives en terre d'Ukraine et que le premier à en souffrir est le peuple ukrainien lui-même.
Seul le fait que l'Euro était, à cette époque,sept fois supérieur au Hryvnia nous a permis de sortir notre garçon de ce mauvais pas. Nous avons, en effet, très vite compris que ce pays n'était pas un état de droit et que seule notre acceptation des règles du jeu (de leur jeu) et quelques milliers d'euros, nous permettraient d'obtenir les bonnes grâces des fonctionnaires locaux en place et d'envisager une issue heureuse.
Je voue une reconnaissance infinie à Igor, Iegor, Oksana, Irina, dont l'humanité et le soutien nous ont aidés à ne jamais perdre espoir. Irina et moi avons correspondu par mail pendant deux ans jusqu'à ce que je sente qu'il fallait y mettre un terme car la liberté de parole dont je jouissais en tant que Française pouvait la mettre en porte-à-faux. L'arrivée au pouvoir en 2010 de Viktor Ianoukovytch, ouvertement pro-russe (il avait d'ailleurs fait son discours d'investiture en russe et non en ukrainien) avait changé la donne.
C'est également en 2008 que, dans le petit magasin où je travaillais, j'ai lié connaissance avec Vladimir, un vieux monsieur Ukrainien qui, un jour, au cours d'une conversation m'a révélé que son oncle était mort de faim dans un champ de blé... Mais là encore, je ne savais rien du Holodomor et Vladimir n'a pas vraiment développé.

Aujourd'hui, je sais. Je sais l'horreur de cet Holodomor et j'aimerais tant que le plus de personnes possible aient la curiosité d'également "savoir". Savoir ce que la France dans sa complaisance affectée envers les dictateurs de gauche a préféré passer sous silence alors que le Canada, par exemple, a depuis bien longtemps reconnu cette atrocité pour ce qu'elle était : un génocide.
Ce livre est un véritable choc. Tous ces témoignages m'ont bouleversée au plus haut point. Toute cette souffrance tue durant des décennies, cette parole que l'on vient enfin de donner aux survivants d'un crime contre l'humanité qui s'est déroulé il y a seulement quatre-vingt-quatre ans dans l'indifférence générale... Oui, il s'agit bien d'un génocide. Et, non, nous ne pouvons plus désormais feindre l'ignorer.
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