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Critique de Tempsdelecture


 C'est le récit de l'oeil averti et expérimenté d'un reporter qui connait précisément le pays, son histoire, ses dirigeants successifs (la succession des mandats d'un seul homme en alternance avec son homme de paille serait plus juste.) On le sait, avant de le lire, ce sera le récit d'un auteur, journaliste de profession, qui publie en France d'abord et n'aura pas à faire subir à son récit les affres de la censure, ou l'autocensure, pour éviter un portrait peu avantageux pour son dirigeant.

Ce récit s'appuie sur une histoire toute personnelle, celle de Sergueï Alexandrovitch Ilyne un gardien d'aéroport, un Russe qui habite dans une ville du grand Nord, Izhma, de la république des Komis, peuple autochtone, qui a fait les frais du passage au capitalisme : l'aéroport qui faisait jadis le succès de la ville, et qui la reliait d'ailleurs à d'autres cités de plus grande envergure, est devenu non grata des tours de contrôle russes. Ce n'est pas que la piste est laissée à l'abandon, Sergueï veille méticuleusement, presque obsessionnellement, à l'entretien de l'aéroport. Sergueï a la nostalgie du temps soviétique, lorsque sa fonction, et lui-même, avait encore un sens, lorsqu'il ne se sentait pas encore relégué au fin fond des territoires et de ses autochtones, oubliés par le pouvoir. Sergueï a un sursaut d'espoir lorsqu'un dernier Tupolev 154, s'écrase plus qu'il n'atterrit, sur la piste trop courte : c'est un sursaut de gloire, quelques étincelles de reconnaissances, il est invité à rencontre le Président et le Premier ministre russes, réciproquement, Dmitri Medvedev et Vladimir Poutine.

Cette rencontre est le moment charnière du roman, face à un Vladimir Poutine, dont les mimiques sont consciencieusement démontées, habituel, affable et démagogue, en retenue maximale face à ses interlocuteurs, totalement (sur)-investi dans son rôle de premier ministre et dans celui de président de la Fédération, qu'il est censé avoir dévolu à Dmitri Medvedev. En Sergueï, on a sous les yeux cette génération qui est passée du socialisme du dernier président soviétique au capitalisme effréné, incarné par les gens qui ont mis Poutine sur son trône, et qui sert à chacun le discours qu'il souhaite entendre. Des méthodes d'homme politique lambda, dans la mesure où aucun n'est guère plus fiable l'un que l'autre, mais qu'en parfait manipulateur Poutine use avec une foi d'homme honnête et bon, qui prend le temps d'écouter chacun, pour derrière, en parfait stratège, pour mieux le prendre en défaut et le démonter consciencieusement. Si Sergueï s'aventure, dans une ultime lueur d'espoir, à réclamer un budget pour réhabiliter son aéroport, son interlocuteur répliquera en lui demandant si le gravier qui s'est accumulé près de la piste est bien réglementaire, laissant un Sergueï coi et mal à l'aise. 
Le dernier des Soviétiques, c'est le temps de la désillusion, des espoirs qui tombent en ruine en même temps que les derniers vestiges soviétiques, un immense arrière-pays qui tombe aux oubliettes devant la concentration de l'économie autour des principales métropoles russes. C'est un individu, Sergueï, que l'on devine être l'image de tant d'autres individus perdus dans des villes presque oubliées, qui se raccroche aux dernières bribes de sa vie d'avant, puisqu'il n'a rien d'autre. Un individu qui ne s'adapte pas aux changements sociétaux, qui l'ont d'ailleurs relégué dans les abîmes de l'oubli, alors que le soviétisme lui avait donné une fonction propre dans une ville qui avait encore un statut social reconnu. Davantage que l'aéroport devenu inutile, Sergueï est comme le dernier vestige, d'un système archaïque, dans lequel il s'était construit, mais qu'il n'a pas vu disparaître. L'un des derniers individus à attendre un sauveur, qu'il soit gouverneur, ministre ou président, à encore y croire. Un doux rêveur, un naïf imbécile, le gentil idiot de service.

On se laisse volontiers emporté par cette nostalgie qu'entretient Sergueï, à ces illusions soigneusement entretenues, qui font qu'il ne retient qu'un côté idyllique au-delà de toutes les horreurs qu'il a engendrées. Le dégel en Russie a laissé certains sur le côté, à commencer par les habitants de tous ces villages isolés dans des territoires dont Moscou se soucie fort peu. Et une fin, toute en délicatesse où nous retrouvons un Sergueï sexagénaire, qui revisite un passé qu'il sait désormais révolu et a relégué ses dernières espérances et rêves au rang d'anecdotes appartenant à un autre temps.

Lien : https://tempsdelectureblog.w..
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