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EAN : 9782246834397
180 pages
Grasset (01/03/2023)
3.82/5   19 notes
Résumé :
C’est une piste de ciment et d’herbe, cachée dans la forêt, non loin du cercle arctique russe. Une bande grise de deux kilomètres, marquée par des pneus géants peints, des drapeaux ; au bout ; un hangar de bois et de tôle ; tout autour, les chemins de terre noir, mais aussi la neige, les ours et les loups. Une sauvagerie presque rêvée, entre Michel Strogoff et Tolstoï.
Sergueï Alexandrovitch Ilyne est arrivé sous l’ère soviétique, et il est resté. A la gran... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Mais pourquoi donc Sergueï Alexandrovitch Ilyne continue-t-il d'entretenir la piste du vieil aéroport abandonné dont il avait la charge ? Cet habitant d'Izhma, ville de la République des Komis, sacrifiée sur l'autel du capitalisme grandissant, s'attèle en effet à la tâche ardue du maintien en état de l'aéroport local, en dépit d'une réalité peu reluisante : les vols ont cessé, l'administration semble avoir oublié l'endroit, et plus personne ne croit à une quelconque résurrection du trafic aérien. Pourtant Sergueï ne lâche rien, avec un soupçon de mélancolie mâtinée d'un brin d'espoir il continue vaillamment de nettoyer, de ranger, de maintenir en l'état, le lieu où il a travaillé depuis plus de dix ans. Les souvenirs se télescopent, les jours s'égrènent, et les rituels se poursuivent. Pendant ce temps on découvre une vie russe à l'ancienne, où ce protagoniste attachant ainsi que ses acolytes (son épouse Macha, le prêtre local, un ancien collègue, un policier du cru) sont confrontés aux désillusions de percevoir un monde en pleine métamorphose sans pouvoir rien y changer. On récolte des patates, on pousse le bus dans les montées, on ramasse les champignons dans les bois, on surveille les ours ou les loups, on refait le monde autour d'un gobelet de vodka. Et puis voilà qu'un jour l'atterrissage difficile et imprévu d'un Tupolev va remettre Izhma sur la carte ! Sergueï aura même la chance d'aller poser une question au premier ministre Poutine suite à cet évènement.

En s'inspirant d'une histoire véridique, Marc Nexon, nous plonge avec douceur dans une Russie périphérique crédible et réaliste. La fin du monde socialiste, la bascule impitoyable vers le libéralisme économique, le poids encore important d'une administration hyper hiérarchisée, entourent une vie faite de débrouille, de traditions encore bien ancrées, et empreinte d'une certaine frugalité. S'il est intéressant d'y apercevoir Vladimir Poutine ou Medvedev (alors président), leur image assez positive suite au désastre nommé Eltsine, le véritable sel de ce roman c'est son lot de personnages éminemment sympathiques gravitant du mieux qu'ils le peuvent dans un monde en pleine mutation. Les scènes se succèdent et, aussi simples soient-elles, nous font rencontrer des femmes et des hommes emplis d'humanité. C'est rare d'éprouver autant d'attachement à l'égard de chaque protagoniste rencontré, et c'est pourtant bien le cas ici. Même Touchka, carcasse titanesque du Tupolev sauvé in extremis, et personnage à part entière du roman, voit son destin particulier venir provoquer certaines émotions en nous, et ainsi tisser un lien de véritable intérêt quant à sa destinée.

Dieu qu'elle paraît belle cette Russie, mais Dieu qu'elle paraît triste aussi. Triste de voir un monde certes largement imparfait, mais dont les règles étaient connues, disparaître, pour laisser grandir à sa place une nouvelle jungle instable où les promesses sont légion mais dont personne ne sait si elles pourront être tenues. Belle de sa diversité, de sa résilience, de ses antihéros débrouillards.

Un bien belle découverte.

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 C'est le récit de l'oeil averti et expérimenté d'un reporter qui connait précisément le pays, son histoire, ses dirigeants successifs (la succession des mandats d'un seul homme en alternance avec son homme de paille serait plus juste.) On le sait, avant de le lire, ce sera le récit d'un auteur, journaliste de profession, qui publie en France d'abord et n'aura pas à faire subir à son récit les affres de la censure, ou l'autocensure, pour éviter un portrait peu avantageux pour son dirigeant.

Ce récit s'appuie sur une histoire toute personnelle, celle de Sergueï Alexandrovitch Ilyne un gardien d'aéroport, un Russe qui habite dans une ville du grand Nord, Izhma, de la république des Komis, peuple autochtone, qui a fait les frais du passage au capitalisme : l'aéroport qui faisait jadis le succès de la ville, et qui la reliait d'ailleurs à d'autres cités de plus grande envergure, est devenu non grata des tours de contrôle russes. Ce n'est pas que la piste est laissée à l'abandon, Sergueï veille méticuleusement, presque obsessionnellement, à l'entretien de l'aéroport. Sergueï a la nostalgie du temps soviétique, lorsque sa fonction, et lui-même, avait encore un sens, lorsqu'il ne se sentait pas encore relégué au fin fond des territoires et de ses autochtones, oubliés par le pouvoir. Sergueï a un sursaut d'espoir lorsqu'un dernier Tupolev 154, s'écrase plus qu'il n'atterrit, sur la piste trop courte : c'est un sursaut de gloire, quelques étincelles de reconnaissances, il est invité à rencontre le Président et le Premier ministre russes, réciproquement, Dmitri Medvedev et Vladimir Poutine.

Cette rencontre est le moment charnière du roman, face à un Vladimir Poutine, dont les mimiques sont consciencieusement démontées, habituel, affable et démagogue, en retenue maximale face à ses interlocuteurs, totalement (sur)-investi dans son rôle de premier ministre et dans celui de président de la Fédération, qu'il est censé avoir dévolu à Dmitri Medvedev. En Sergueï, on a sous les yeux cette génération qui est passée du socialisme du dernier président soviétique au capitalisme effréné, incarné par les gens qui ont mis Poutine sur son trône, et qui sert à chacun le discours qu'il souhaite entendre. Des méthodes d'homme politique lambda, dans la mesure où aucun n'est guère plus fiable l'un que l'autre, mais qu'en parfait manipulateur Poutine use avec une foi d'homme honnête et bon, qui prend le temps d'écouter chacun, pour derrière, en parfait stratège, pour mieux le prendre en défaut et le démonter consciencieusement. Si Sergueï s'aventure, dans une ultime lueur d'espoir, à réclamer un budget pour réhabiliter son aéroport, son interlocuteur répliquera en lui demandant si le gravier qui s'est accumulé près de la piste est bien réglementaire, laissant un Sergueï coi et mal à l'aise. 
Le dernier des Soviétiques, c'est le temps de la désillusion, des espoirs qui tombent en ruine en même temps que les derniers vestiges soviétiques, un immense arrière-pays qui tombe aux oubliettes devant la concentration de l'économie autour des principales métropoles russes. C'est un individu, Sergueï, que l'on devine être l'image de tant d'autres individus perdus dans des villes presque oubliées, qui se raccroche aux dernières bribes de sa vie d'avant, puisqu'il n'a rien d'autre. Un individu qui ne s'adapte pas aux changements sociétaux, qui l'ont d'ailleurs relégué dans les abîmes de l'oubli, alors que le soviétisme lui avait donné une fonction propre dans une ville qui avait encore un statut social reconnu. Davantage que l'aéroport devenu inutile, Sergueï est comme le dernier vestige, d'un système archaïque, dans lequel il s'était construit, mais qu'il n'a pas vu disparaître. L'un des derniers individus à attendre un sauveur, qu'il soit gouverneur, ministre ou président, à encore y croire. Un doux rêveur, un naïf imbécile, le gentil idiot de service.

On se laisse volontiers emporté par cette nostalgie qu'entretient Sergueï, à ces illusions soigneusement entretenues, qui font qu'il ne retient qu'un côté idyllique au-delà de toutes les horreurs qu'il a engendrées. Le dégel en Russie a laissé certains sur le côté, à commencer par les habitants de tous ces villages isolés dans des territoires dont Moscou se soucie fort peu. Et une fin, toute en délicatesse où nous retrouvons un Sergueï sexagénaire, qui revisite un passé qu'il sait désormais révolu et a relégué ses dernières espérances et rêves au rang d'anecdotes appartenant à un autre temps.

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J'avais beaucoup aimé le premier livre publié par Marc Nexon, [La Traversée de Pyongyang], un compte-rendu de son marathon dans la capitale Nord-Coréenne.Un non-reportage puisqu'il n'a rien vu, rien appris, doublé d'une certaine paranoïa. Un livre très étrange, très original sur un reportage qui n'a pas lieu mais dont l'absence, en creux, dit beaucoup. Quand j'ai vu que Marc Nexon publiait un nouveau livre, un roman cette fois, et que les éditions Grasset le proposaient à la lecture sur netgalley, je n'ai pas hésité avant de l'ouvrir.
Encore une fois, c'est un livre court, et c'est un livre qui s'appuie sur l'expérience journalistique de Marc Nexon puisqu'il couvre depuis longtemps l'ex-URSS pour les médias pour qui il travaille. Mais ici, il s'agit d'une histoire inventée, celle de Sergueï, qui aurait aimé être pilote, mais qui se retrouve employé puis responsable d'aéroport, ou plutôt d'une piste et d'une Tour, quelque part au nord du cercle polaire. Employé modèle, il reste à son poste même quand l'URSS se délite, il continue à entretenir sa piste même si les avions ne viennent plus, et cela dure des années et encore d'autres années. Puis un sursaut se produit, et Sergueï décide de forcer la main du destin et de militer pour la réouverture de son aérogare (qui, à ses yeux, n'a jamais fermé). Les événements le servent un peu, et il arrive à rencontrer quelques personnages influents, mais que peut un simple gardien d'une piste perdue au milieu de la neige face aux réalités d'un monde qu'il ne comprend plus ?
Sergueï, c'est aussi l'homme qui a vécu toute sa vie dans la Russie communiste, qui a vu le système dans lequel il avait appris à vivre et à faire son trou s'écrouler, qui s'aperçoit que ce nouveau monde qui devait être mieux, c'est aussi l'oubli de certaines valeurs dans lesquelles il croyait, la solidarité, la fierté du travail bien fait au service du peuple. Peut-être n'étaient-ce que des illusions et des grands discours, mais lui les vivaient et y croyaient. Sergueï, c'est l'histoire d'un homme qui est dépassé par le cours de l'histoire, et dont on comprend la détresse.
Je crois que je n'ai pas autant accroché à ce livre qu'au précédent de Marc Nexon. Je n'ai pas trouvé cette histoire complètement crédible, et j'ai eu du mal à cerner véritablement le personnage de Sergueï. Mais c'est un livre intéressant pour ce qu'il dit de ce qu'est la Russie de ces dernières décennies, ou du moins une certaine partie de la Russie. Entre désillusion et nostalgie, c'est un livre dont se dégage une atmosphère faite de résignation et de renoncement.

Merci aux éditions Grasset de m'avoir permis de découvrir ce livre, via netgalley.
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Aujourd'hui je vais évoquer le dernier des soviétiques récit étonnant de Marc Nexon. L'auteur a publié en 2020 La traversée de Pyongyang. Après la Corée du Nord c'est la Russie qui sert de cadre à son histoire située à Izhma dans l'extrême nord froid et abandonné du pays.
Le protagoniste d'appelle Sergueï Alexandrovitch Ilyine depuis de longues années il travaille à l'aéroport de la ville où il a débuté sa carrière. A l'époque de ses débuts l'aéroport était desservi tous les jours par plusieurs vols et puis progressivement, sans doute avec l'effondrement de l'URSS, plus aucun avion n'a atterri ni décollé. Mais Sergueï s'est octroyé la mission de maintenir en état d'usage la piste. Pour cela : « il y avait tant à faire : éliminer la végétation l'été, dégager les congères l'hiver. » Muni d'une pelle il dégage la neige et parcourt la piste pour scruter les éventuels dégâts dus aux intempéries. Cette persévérance semble vaine, la Tour tombe en décrépitude, plus personne n'arpente l'aérogare déserte. Sergueï s'est autoproclamé responsable du lieu et est le seul à croire à l'avenir de l'aéroport : « il avait cinquante-deux ans. Il était seul dans cet aéroport depuis l'âge de quarante ans. » Son quotidien est rythmé par ces inspections de la piste et de menus travaux. Il a un ami qui voudrait le convaincre de partir et de tenter une autre aventure professionnelle. Aucune hiérarchie, personne ne lui demande rien, pas de rémunération. Simplement il croit en son travail et se pense indispensable. Néanmoins : « une chose avait changé depuis ces années. Il avait perdu l'habitude de lever les yeux. A quoi bon ? le ciel était vide. Il s'ennuyait même à suivre le passage d'un aigle. » Pourtant, un jour un Tupolev qui survole le coin a un souci technique et les pilotes vont se diriger vers cette trouée au milieu de la steppe et de la forêt et parvenir à poser l'avion sans trop de dommages. Les passagers sont indemnes et évacués rapidement par hélicoptère. Personne ne remercie Sergueï d'avoir permis à sa piste de demeurer en condition. Des pilotes chevronnés viendront sur place pour dégager et envoler l'oiseau de fer. Mais après il ne se passe rien. Tel le dernier des soviétiques il croit qu'Izhma va à nouveau accueillir des passagers réguliers, il participe à une réunion où Vladimir Poutine fait une promesse tacite et imprécise. Mais rien ne sera tenu et le personnage principal reste avec ses rêves et ses illusions. le temps du communisme et de la desserte systématique de toutes les régions par les airs est terminé.
Le dernier des soviétiques est un texte bref et touchant. L'auteur à travers cette fiction imagine une histoire que l'on peut croire plausible dans ces contrées tellement éloignées de Moscou qu'elles semblent encore vivre plusieurs décennies en arrière sans avoir conscience des évolutions du monde et de la personnalité de Poutine.
Voilà, je vous ai donc parlé du Dernier des soviétiques de Marc Nexon paru aux éditions Grasset.

Lien : http://culture-tout-azimut.o..
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Il est très attachant le dernier des soviétiques. Il s'appelle Serguei. Il est le gardien d'un aérogare perdu dans les confins de la Russie.Et il le bichonne son aérogare, même si aucun avion n'y atterri plus depuis longtemps. C'est un Don Quichotte russe qui se bat contre l'administration de son pays. Il va de désenchantement en désenchantement jusqu'au jour où miracle, un avion se pose en catastrophe sur l'aérogare de Serguei. La carcasse de l'oiseau rare va rester longtemps sur le tarmac afin de repartir. Rencontre avec d'autres humains, rencontre avec Vladimir qu'il trouve très bien et retour au néant.pour Serguei.
Car rien ne bouge en Russie, tout est immuable. D'un empereur et d'un dictateur à un autre : Gorbatchev est très mal perçu (embrouilleur de cartes - ouverture sur l'occident - chute du Mur, mais où va-t-on avec des idées comme ça ?).
Merci beaucoup aux Editions Grasset et à NetGalley sur ce beau livre si beau, mais si triste, comme les russes en somme.
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critiques presse (1)
LeFigaro
06 avril 2023
Dans l’ère post-soviétique, à la lisière du cercle arctique, un employé continue d’entretenir une piste d’aérodrome oubliée de tous.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Sergueï ne voyait pas le temps passer. Il y avait toujours quelque chose à faire. La longueur de la piste, il est vrai, exigeait beaucoup d'un seul homme. D'ailleurs, il ne remarquait pas tout. Combien de fois avait-il oublié d'évacuer les excréments des loups ? Il les distinguait mal avec leur couleur changeante. Et puis, il lui était impossible de couvrir chaque mètre carré en une inspection. Il achevait donc sa journée avec une idée précise des tâches qui l'occuperaient le lendemain. Et lorsque le temps lui manquait, il rentrait chez lui, chagriné. Chaque moi comptait, chaque saison imposait son labeur. L'été surtout réclamait beaucoup d'attention. Il fallait veiller à ce que la piste soit propre avant qu'elle revête sa tunique blanche. Sergueï n'attendait l'aide de personne. Qu'il baisse les bras, qu'il tombe malade, qu'il parte, et la piste, à coup sûr, s'abîmerait avant de se dissoudre dans la végétation. C'était une lutte pour la vie, un travail honorable.
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Voici ma question... - Sergueï Alexandrovitch... l'interrompit le Premier ministre. D'abord, laissez-moi vous exprimer toute mon admiration, mais je voulais vous demander quelque chose : pourquoi avez-vous continué à vous occuper d'un aéroport qui ne servait plus ? " Sergueï se mit à sourire à nouveau. C'était un sourire qu'il s'adressait à lui-même comme à un ami auquel il chuchoterait : "Tu pensais y échapper ?"

Il hésita, bredouilla. "C'est comme ça..." dit-il. Puis, après un court silence, il récupéra trois mots au fond de la gorge. "L'espoir meurt en dernier", lâcha-t-il.
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