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Critique de Alfaric


Avant d'être un mangaka, Tsutomu Nihei était un architecte, et avant d'être un architecte il était un lecteur passionné : si un Roger Leloup ne jurait que par Jules Verne et Allan Edgar Poe, l'auteur japonais lui ne jure que par William Gibson, Bruce Sterling, H.P. Lovecraft et Clive Barker !
"Blame !" est une oeuvre fascinante mais pas facile d'accès bien qu'elle se lise très vite (j'ai relu les 10 tomes en une seule soirée ^^), son auteur ne faisant pas grand-chose pour faciliter la vie du lecteur, pire la compliquant inutilement en posant trop de questions auxquelles il n'apporte pas de réponse...


« Peut-être sur terre. Peut-être dans le futur. » Il s'agit d'abord et surtout d'un manga d'ambiance ! Nous déambulons dans des structures technorganiques cyclopéennes dont les dimensions défient l'imagination (tout en se prêtent très bien à de bonnes vieilles descriptions lovecraftiennes ^^). Killy erre ainsi seul dans des décors tantôt merveilleux tantôt effrayants, vides d'êtres humains alors qu'ils ont été conçus par et pour des humains avant que ces derniers ne disparaissent... Mais il s'agit de lieux hantés par des monstres, et à tout moment il peut tomber sur des hordes de créatures de à H.R. Giger, Clive Barker, Zdzisław Beksiński (sur ce point, mais pas seulement, la proximité entre le travail de Tsutumo Nihei sur "Blame!" et celui avec celle de Norihiro Yagi sur "Claymore" interroge : il y a forcément un lien entre les deux mangaka)... Et les classiques ont également mis à contribution puisqu'on croise les versions cyberpunks des vampires, des Shoggoths, des Cénobites et même de l'innommable Cthulhu ! ^^

« Adventure-seeker Killy in the Cyber Dungeon quest! » Il s'agit aussi d'un manga abstrait... Les dialogues sont peu nombreux voire inexistants (ainsi le tome 1 qui compte 240 pages n'en offre que 10 avec des phylactères, et cette chronique contient plus de caractères que tous les tomes de la saga réunis, préquels et spin-off y compris ^^), mais quand il existe ils multiplient les apports d'informations touffus et complexe rarement explicités ou corroborés par la suite... Il en va de même pour le rythme ou de longues phases d'exploration contemplatives sont interrompues pas des bastons dantesques et frénétiques d'inspiration super-héroïque puisque le mangaka est fan de comics ...
On peut voir la série comme un "Matrix" horrifique dans lequel les ennemis de Killy se téléporteraient/téléchargeraient comme l'Agent Smith et ses collègues, ou un "Tron" horrifique dans lequel le rôle du Maître Contrôle Principal serait joué par un Grand Ancien lovecraftien, ou un "Donjon et Dragon" post-apocalyptique qui prendrait la forme d'un porte-monstre-trésor à la sauce "Doom" dans lequel Killy affrontent des vagues de streums afin de parvenir au boss intermédiaire, puis de passer au niveau suivant et d'affronter de nouvelles vagues de streums afin de parvenir au nouveau boss intermédiaire (avec un arme aussi surpuissante que peu pratique : le « Gravitational Beam Emitter »)... Mais personnellement je pense qu'on peut aussi y voir un récit de chevalerie dans laquelle Killy errerait dans les gastes terres avant de parvenir à l'autre-monde et d'en ramener le Saint-Graal qui guérirait le royaume de tous ses maux (et cela aurait été tellement bien que l'auteur aille dans cette voie, plutôt que d'emprunter l'impasse philosophique et métaphysique de la SF japonaise), ce qui finalement rapproche le travail de Tsutomu Nihei sur "Blame!" de celui de Stephen King pour "La Tour Sombre"...

Bref, c'est un oeuvre sujette à toutes les interprétations... Donc à chacun la sienne, et je laisse le soin aux ingénieurs informatiques de proposer la leur ! blink
On oppose sans cesse « réalité basique » de la mégastructure et « réalité augmentée » de la résosphère, et on demande où est la frontière entre la réalité et la virtualité, qui de l'un a débordé sur l'autre, et qui de l'un a contaminé l'autre... Mais on serait dans un « Big Dump Object » dont se serait coupé une élite ayant accédé à l'immortalité numérique, et un virus biologique ou informatique (ou les deux, et dans les deux clairement d'origine alien) a décimé une humanité livrée à elle-même car abandonnée par ses classes dirigeantes perdus dans leurs paradis artificiels. Sans aucun contrôle les machines de constructions continuent d'agrandir ce qui ressemble à une Sphère de Dyson qui menace de phagocyter les datas centers de Saint-Pierre de la ploutocratie planquée quelque part entre Jupiter et Saturne... Piégé dans sa tour d'ivoire, le Bureau Gouvernemental a envoyé Killy récupérer un terminal génétique et un être humain porteur de gènes sains afin de reconnecter la mégastructure et la résosphère et de reprendre le contrôle de la situation. On ne sait rien de Killy relique du passé, sinon qu'il est pas humain du tout, ni de près ni de loin : il est allergique aux dispositifs de clonage perpétuel, il hait viscéralement les silicates qu'ils tue à vue qu'ils soient une menace ou non, et au coeur de la folie des combats un rictus halluciné déforme parfois son visage... Il agit parfois comme un justicier solitaire, prenant la cause des barbares déséchés contre les savants qui se servent de leurs corps comme réserves de pièces détachés (oui, on vous a reconnu lointains descendants de cette saloperie de Shirô Ishii !), mais parfois il abandonne des individus ou des communautés entières pour se consacrer uniquement et stoïquement à l'accomplissement de sa mission / de sa quête... Killy est-il le T-800 de Shibo, ou Shibo est-elle la Sarah Connor de Killy ? (oui il y a aussi des clins d'oeil à la saga "Terminator" ^^)
Et d'oeuvre en oeuvre on voit que le mangaka a de la suite dans les idées :
- on a une mise en scène d'une post-humanité dans laquelle on croise clones, mutants, hybrides et Extra-Terrestres d'un côté, cyborgs, androïdes, robots et Intelligence-Artificielles de l'autre côté... (Que reste-il de vraiment humain dans cette mégastructure aussi froide et infinie que le vide sidéral lui-même ?)
- il critique son pays, sa politique et sa société en mettant sur un pied d'égalité Silicates d'extrême-gauche qui veulent tout faire péter au risque de détruire l'humanité et les Sauvegardes d'extrême-droite qui ont mordu les mains qui les ont nourris avant de développer des critères de sélection suprématistes tellement élevés qu'elles se sont mises à éradiquer l'humanité...
- quant à la ploutocratie bien planquée dans sa Tour d'Ivoire, le paradis qu'elle a tant souhaité ressemble à l'Enfer de l'Antiquité, avec des individus blasés condamnés à l'immortalité qui se réfugient dans un sommeil sans fin pour éviter d'avoir à affronter la réalité et ses responsabilités...


La saga "Blame!" débute par une série de récits courts :
- Dans "Terminal Génétique", Killy affronte des terroristes technorganiques pour ramener un enfant humain à liaison à son agent de liaison cyborg.
- Dans "Mémoire de la terre", l'androïde et le cyborg discutent de leur mission et des termes bien étranges contenues dans une sauvegarde imprimée (un livre quoi ^^)...
- Dans "Techno-nomades", 3000 étages plus haut Killy s'interpose entre une communauté de cloneurs et des mutants insectoïdes...
- Sans "Ex-Log", Killy détruit une crèche silicate...
- Dans "Bureau Gouvernemental", Killy est guidé dans un nouvel étage par un enfant abattu par des humains avant d'être abattu à leur tour par une créature de cauchemar... (une fois ses capacités retrouvées, Killy sera plus performant pour identifier les Sauvegardes et les Silicates déguisés en humain : remember "Terminator" et "Planète hurlante" ^^).
- Dans "Evasion", Killy découvre Yagi la survivante d'un nouvelle communauté exterminée par les Sauvegardes qui propose son aide pour retrouver les autres humains du secteur s'il la conduit dans un lieu sûr...
- ... et dans "Silicium vitae", leur route croise celle des Silicates...
- Dans "Constructeurs", des heures / jours / années plus tard, Killy parvient au refuge dirigé par Kunoi où Yagi a sombré dans la catatonie... le refuge est menacé par les robots bâtisseurs que plus personne ne contrôle mais Killy parvient à communiquer avec eux avec un vieux langage appelé « binaire » auquel lui-même ne comprend rien, quand les Silicates lui tombent dessus à bras raccourcis... de nouveau seul, Killy prend le chemin du pont s'étendant au-delà de l'horizon pour rejoindre Akima allégorie de l'Au-delà !

Puis une ellipse élude le voyage infini de Killy qui arrive à Akima et qui pense avoir retrouvé la trace des humains originels avant de tomber sur des elfes triclopes... La suite de du récit se déroule intégralement à Vivélec où tout le monde mesure 2m40 et donc où tout le monde prend Killy pour en enfant. Mais Vivélec c'est d'abord et avant tout un enfer capitaliste dans lequel l'élite scientifique a droit de vie et de mort sur les masses prolétaires, tout en se réservant les connaissances permettant d'étendre son existence quasi-indéfiniment... Pour avancer dans sa quête, Killy accompagne les convoyeurs Testu et Yoshio (qui n'est plus d'une tête reliée au tableau de bord de son véhicule), et on a un passage western cyperbunk très plaisant où Killy protège sa diligence des peaux-rouges locales. Mais quand il découvre la vérité sur la cargaison qu'il a transportée, il change immédiatement de camp et se met à détruire le complexe de Vivélec à grand coup de GBE avant que la technocratie ne lui envoie ses psioniques d'élite !
Killy est en cavale, recherché mort ou vif, tant par les chiens de garde du régime que par les révolutionnaires prolétaires qui veulent son arme pour lancer le Grand Soir. Mais Killy ne peut pas fuir, car il doit atteindre la banque de données génétiques de Vivélec pour savoir s'il existe ou a existé à ce niveau de la mégastructure un porteur de gènes sains... C'est dans un séquence d'infiltration 50% Conan 50% Solid Snake que Killy découvre dans les égouts de Vivélec les restes de la nécromancienne Shibo, ancienne scientifique en chef de Vivélec condamnée pour ambition/rébellion : s'il lui donne un corps fonctionnel, elle l'aidera dans sa quête...
Shibo est certes à Killy ce que Bulma était à Son Goku de "Dragonball", mais aussi ce que Sarah Connor était au T-800 de "Terminator II", et elle va changer d'apparences autant de fois que ses modèles (en look, en visages, en corps). C'est une scientifique aussi géniale que badass qui va accompagner notre chevalier errant dans sa quête, et c'est à leurs débuts que leur relation est la plus cool car Shibo a déjà été plus loin que lui en tentant une connexion illégale avec la résosphère et le fait bien sentir du haut de ses 2m40 à Killy qui mesure au mieux 1m70 ^^
Sinon la fin du tome est consacré à leurs efforts communs pour passer au niveau suivant malgré l'indestructible cloison de la mégastructure...


Glénat offre un édition grand format à un manga premium qui le mérite bien, et force est de constater qu'on ressent plus que jamais la puissance et le talent de Tsutomu Nihei : ce n'est plus la même chose avec toutes ses planches vertigineuses qui t'aspirent dans leurs abîmes, ou toutes ces planches blockbustérienne qui te pète littéralement à la gueule ! Cerise sur le gâteau, on s'est enfin débarrassée des cacas graphiques de Bakayaro! qui a saboté tous les mangas de chez Glénat pendant des années et des années... Après on remplace Killy par Killee, et ça me gêne un peu comme d'autres changements de traduction dans le naming. Je suis obligé d'ajouter que certains personnages changent de sexe dans cette nouvelle édition : ça aurait fait chier les responsables de la traduction d'origine de demander confirmation du genre des uns et des autres à leurs collègues japonais avant de faire n'importe quoi ?
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