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Critique de YvesParis


Anne Nivat n'est pas historienne et ne prétend pas l'être. Son livre ne retrace pas l'histoire du Birobidjan, cette république juive de 36 000 km² créée par Staline et Kalinine en 1934 à 8 000 km de Moscou aux confins de l'Extrême-Orient soviétique. Il s'agit plutôt d'un récit de voyage qui emprunte bien des détours avant de parvenir à son but.
Pour nous parler du Birobidjan, Anne Nivat commence à nous entraîner en Israël à la rencontre de la diaspora russe venue du Birobidjan. Arrivés en Israël en masse au début des années 90 lors de « l'alyah du saucisson », dès que le rideau de fer s'est entrouvert, ces immigrés reproduisent la quête de leurs parents convaincus par la propagande soviétique des années 30. Ils connaissent les mêmes difficultés à s'intégrer à un monde différent du leur, dont ils ne parlent pas la langue et partagent à peine la religion. Certains font demi-tour et rentrent en Russie après quelques années.
Deuxième étape, la Chine frontalière du Birobidjan qui avait déjà accueilli une importante communauté juive après la révolution soviétique. Harbin, la capitale du Heilongjiang, la province la plus septentrionale de la Mandchourie, porte encore les traces architecturales de cette présence. de part et d'autre du fleuve Amour, deux géants se font face qui ne s'aiment guère mais sont obligés de cohabiter. L'équilibre des forces joue en faveur de la Chine qui importe de Sibérie du bois et du pétrole en échange de ses produits de consommation courante. C'est au terme d'un long périple que Anne Nivat parvient au Birobidjan. Ce bout du monde n'a rien d'exceptionnel. Il ressemble à toutes les provinces russes, désespérantes de médiocrité. Sa seule originalité est sa judaïté auto-proclamée dont les potentats locaux entendent faire un produit d'appel. Mais ce label est purement factice. La population juive, qui atteignit au maximum 30 000 individus à la fin des années 40 n'en compte plus guère que 10 000 et ne représente aujourd'hui que 2 à 3 % des habitants de la région autonome. le yiddish est certes enseigné à l'université ; mais les élèves ne sont pas juifs. le rabbin missionné par Tel Aviv a bien du mal à évangéliser une population de « juifs sur le papier » (p. 306) qui miment des pratiques culturelles vidées de leur substrat religieux.
Le projet stalinien s'avère être « un conte de fées mort-né » (p. 338). Il a fait long feu, même si les habitants du Birobidjan vivent dans sa nostalgie. le Birobidjan - comme l'Ouganda - n'a jamais fait rêver les Juifs comme le constatait amèrement Alexandre Soljénistyne dans l'étude qu'il a consacrée aux Juifs de Russie. Il n'existe qu'une seule terre promise : Eretz Israel où se reconstitue en 1948 un Etat juif dont la création sonnera le glas de la construction identitaire du Birobidjan, déjà mise à mal par les purges staliniennes de 1936-1938 avant celles provoquées par le soi-disant complot des « blouses blanches ».
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