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Critique de charlottedesudermanie


Je ne vais penser ici ni avec ni contre Gérard Noiriel mais vais simplement essayer de dégager mon ressenti quant à la lecture de ce texte largement autobiographique découvert grâce à Masse Critique.

Moderniste, je ne connaissais que très peu, avant la lecture de cet ouvrage, les travaux et surtout le parcours de cet historien. C'est d'ailleurs sans doute le dernier chapitre, consacré à son itinéraire, qui m'a le plus intéressée. Noiriel y livre son histoire personnelle: de son père alcoolique qui maltraite sa famille en passant par son engagement au Parti Communiste jusqu'à son poste de Directeur d'études à l'EHESS. Et le chemin vers la réussite académique fut loin de s'apparenter à un long fleuve tranquille, Noiriel étant issu d'un milieu fort modeste: “A la fin du cours moyen, la République m'avait déjà signifié où se situaient les limites de la mobilité sociale à laquelle je pouvais prétendre. La filière courte qu'elle avait choisie pour moi indiquait que mon parcours scolaire devait s'arrêter au niveau du brevet. L'Ecole normale d'instituteurs m'avait permis d'obtenir le Bac et donc de gravir un échelon supplémentaire. Mais il convenait de s'en tenir là.” (p.253-254)

Si ce dernier chapitre est largement accessible, cela n'est pas le cas, il me semble, du reste de l'ouvrage. Que le lecteur peu au fait des questionnements propres aux sciences sociales s'arme de courage ou se détourne. Un minimum de connaissances sur les grands penseurs évoqués apparaît comme un préalable nécessaire à qui entend lire (et prendre du plaisir à le faire) ce livre. En effet, chaque chapitre présente un auteur, qu'il soit sociologue, philosophe ou écrivain. de Bloch à Rorty en passant par Bourdieu et Foucault, Noiriel rassemble des réflexions sur ces intellectuels «qui ont le plus compté dans sa formation et dans son itinéraire d'historien depuis deux décennies».

Noiriel livre un ouvrage complexe qui mériterait une analyse profonde. Cependant, trois grands points retinrent tout particulièrement mon attention.

-La question du rapport crucial entre l'histoire et les autres sciences sociales au cours du XXe siècle; de la géographie (cf. par exemple le chapitre sur Braudel, p. 48-49), en passant par la sociologie et la philosophie. Cette dernière discipline occupe d'ailleurs une place importante dans la réflexion de Noiriel: “Qu'un historien français puisse trouver de l'intérêt à lire un philosophe pragmatiste américain peut paraître étrange, voire inconvenant (…) La première raison qui rendait impossible ma rencontre avec Rorty tient au fossé qui sépare toujours, en France, l'histoire et la philosophie” (p. 187 et 190).
Noiriel démontre donc avec force l'importance et l'enrichissement mutuel du débat entre disciplines voisines.

-La question du manque d'unité de la communauté savante ainsi que celle du rapport du chercheur en sciences sociales avec les institutions universitaires. En ce qui concerne le premier point, Noiriel s'appuie notamment sur Foucault “l'intellectuel se définit avant tout comme un être unique, exceptionnel, surtout motivé par le désir de faire triompher sa propre pensée contre celle de ses concurrents. Toute notre formation scolaire, tous les investissements et les sacrifices que nous avons consentis pour devenir des savants nous poussent à concevoir et à pratiquer le débat comme un acte de rupture avec les autres et non comme un acte de solidarité. La construction d'une véritable communauté de chercheurs engagés nécessiterait que nous nous interrogions davantage sur cette dimension majeure de notre identité d'intellectuel”.(p.184-185)
Quant au rapport avec les institutions et la question de l'intégration du chercheur dans le monde académique, il est également très présent dans le livre et le reflet d'une réalité connue de tout universitaire. Noiriel s'appuie sur sa propre expérience mais aussi sur celle des auteurs mentionnés, notamment Braudel qui “pour que ses projets institutionnels aient une chance d'aboutir doit ménager sees anciens adversaires, qui détiennent des positions-clé dans les réseaux de pouvoir.” (p. 70)

-La question tout aussi récurente de l'objectivité et de la rationnalité de l'historien. C'est ainsi que l'on peut lire, dans le chapitre consacré à Bourdieu: “ J'ai longtemps cru que les historiens, et plus généralement les chercheurs en sciences sociales, étaient des acteurs rationnels, qui passaient leur vie à échanger des arguments objectifs, dans un monde reposant sur les principes d'une communication universelle. Ce n'est donc pas sans déplaisir qu'il a fallu admettre, en relisant mes notes, que mes accords et mes désaccords avec la sociologie de Bourdieu avaient eu, généralement, pour point de départ des humeurs ou des émotions, enracinées dans ma propre expérience vécue, les arguments rationnels n'étant venus qu'après, pour justifier dans le langage légitime de la science ces réactions spontanées.” (p.124) On retrouve notamment ce rapport à l'histoire personnelle dans le chapitre consacré à Rorty qui aborde dans ses textes l'ancrage de la pensée dans l'expérience vécue (p. 205). D'où également le chapitre, surprenant de prime abord, consacré à Virginia Wolff “c'est en lisant Virginia Wolff que j'ai commencé à comprendre pourquoi les écrivains pouvaient être utiles aux chercheurs en sciences humaines désireux d'expliciter le rapport qu'ils entretiennent avec leurs textes. Ses écrits se prêtent particulièrement bien à ce rapprochement, parce que la préoccupation centrale qui relie toutes les parties de son oeuvre, c'est le problème de la vérité” (p. 214-215).

Enfin, la motivation de Noiriel, convaincu que la démocratisation du monde intellectuel est une grande nécessité, est avant tout son “désir de vérité et souci de l'action” (p. 211).
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