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Critique de berni_29


Hamnet est un livre dont les pages se situent à la lisière des forêts.
Nous sommes en Angleterre, un jour d'été de 1596, un enfant de onze ans qui s'appelle Hamnet cherche du secours pour sa soeur jumelle Judith qui est malade. Mais personne n'est là, ni dans la maison, ni dans le voisinage ; sa mère est partie ramasser des plantes médicinales dont elle a le secret, elle qui sait guérir les autres, dans l'inquiétude de cette Angleterre ravagée par la peste...
Judith et Hamnet se ressemblent comme deux gouttes d'eau. L'existence de l'un fait écho à celle de l'autre. La joie de l'un est capable de ruisseler sur le visage de l'autre... Aujourd'hui elle est malade et c'est lui qui va prendre sa fièvre...
Cette scène grave, poignante d'un jour d'été de 1596, ouvre ce très beau roman qui m'a totalement envouté. C'est ma première incursion dans l'univers de son auteure Maggie O'Farrell.
Cet envoûtement tient à plusieurs choses... Il y a tout d'abord la force de la narration qui alterne d'un chapitre à l'autre entre le présent de cette journée d'été et le passé.
Le passé, parlons-en. Il nous fait entrer dans une famille de Stratford où le père, gantier parfois peu honnête dans ses transactions, règne dans le cercle familial par ses sautes d'humeur d'une rare violence. Ce passé explique aussi la genèse fragile, saisissante d'un couple qui va s'unir d'amour à l'aune de cette famille peu accueillante. Les scènes quotidiennes de l'Angleterre rurale du XVIème sont peintes avec une grande justesse. Et alors, c'est l'occasion pour moi de vous évoquer ce magnifique personnage d'Agnes, la mère, son chemin qui semble venir tout droit de la canopée d'une forêt. Les pages qui évoquent ses origines d'enfant sauvageonne sentent l'humus, la fleur d'églantier, elles sont imprégnées du bruit des abeilles.
Ce personnage d'Agnes m'a ému. Elle est totalement d'un autre monde. Elle a toujours sur elle dans les poches de ses vêtements des racines encore pleines de terre, des glands, des tritons, parfois une colombe blessée... Elle voit des choses que personne d'autre ne voit, elle possède la faculté de lire dans l'âme des gens. C'est comme un don. Elle préfère appeler cela des intuitions.
Les pages qui évoquent l'endroit d'où elle vient relève presque d'un conte gothique.
Ce jeune homme qu'elle s'apprête à aimer, ce précepteur de latin qui a su poser sur elle ce beau regard aimant, a-t-elle deviné en lui pinçant avec ses deux doigts la peau de son bras qu'il deviendrait un jour célèbre sur la scène théâtrale londonienne, puis de manière universelle ? Qu'il se perdrait parfois en chemin ? A-t-elle deviné l'ivresse de l'amour, les joies, les rires des enfants qui viendraient s'agripper à leurs gestes fragiles, les douleurs, les chagrins qui viendraient plus tard ?
Ce livre, baigné d'étrangeté, est d'une beauté folle, onirique, habitée par les sortilèges, où les prophéties parfois font peur.
Et puis, à un moment donné, il y a ce récit dans le récit qui explique comment cette pestilence se serait introduite en Angleterre, cette fable est tout simplement fabuleuse...
Bon, d'un saut de puce, me voilà revenu vers le propos du récit, mais les chemins sont multiples...
L'écriture oscille avec grâce et enchantement dans un clair-obscur qui met en beauté les paysages tant extérieurs qu'intérieurs. Quand je dis intérieurs, c'est bien sûr l'âme des personnages. Oui, tout n'est qu'ombre et lumière, comme l'image de cette rivière où poussent de magnifiques iris d'eau, au milieu d'une eau sombre et boueuse. Comme la douceur de la neige, froide et aveuglante... Comme l'amour d'Agnes et de celui qui n'est jamais nommé ici...
J'ai du mal à ne pas vous parler encore de cette femme, Agnes. Plus tard, dans son rôle de mère, elle emportera l'émotion du texte dans la mort qui approche un enfant et où elle ne reçoit plus aucun signe, dans ses mains devenues impuissantes à guérir, dans ses larmes, dans l'absence de son mari qui n'est plus à ses côtés, au côté de ses enfants ; s'absenter de la troupe de théâtre dont il s'occupe n'est pas possible dans le moment, écrit-il. Pourquoi cet homme s'est perdu en chemin ? Pourquoi est-il devenu rebelle ? Pourquoi cette fuite ?
Sans jamais le nommer, ici le père d'Hamnet entrera plus tard dans la postérité, à jamais. On devine alors aisément ô combien le destin douloureux de son enfant et le chagrin qui s'ensuivit, lui donna l'inspiration pour écrire l'une de ses plus belles tragédies théâtrales...
Le livre de Maggie O'Farrell est une approche romanesque pour dire cette genèse...
Et puis, en chemin, acceptez de vous perdre dans les nombreuses digressions que procure ce texte. La droite qui relie deux points est souvent le parcours le plus triste.
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