AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Godefroid


Lorsqu'il rentre chez lui à la fin de la guerre de Corée, Tucker n'est encore qu'un gamin de 18 ans. Mais il est doté de qualités qui attendent d'ordinaire un âge bien plus avancé pour se manifester. Rencontre avec Rhonda qu'il sauve d'un viol, in extremis… mariage, 5 enfants dont 3 atteints de difformité et de déficience mentale… traffic d'alcool, prison… un parcours qui, vu d'avion, est une suite misérable. Mais on aurait tord de s'arrêter à ce constat.

Auteur rare, prose sincère et percutante, intrigue aux relents sociaux manifestes : on a là les ingrédients d'un beau succès critique. Sauf qu'à mon sens, la plupart des journalistes ayant encensé ce titre sont passés à côté de l'essentiel. A la croisée des genres polar, drame social et nature writing – même si les auteurs américains détestent en général ces classifications de libraires – ce dernier caractère (l'évocation puissante du lien entre l'homme et la nature) a été en général oublié des chroniqueurs, alors qu'il est d'après moi le plus important vu le sens massif qu'il confère au roman.

Dès le début, Tucker apparaît comme un homme des bois ; la présence des arbres et de la faune l'apaise, au contraire des retrouvailles avec la société "civile", qu'il appréhende. Il reconnaît spontanément et de manière infaillible tous les bruits de la forêt, les animaux qui les produisent et même parfois leur humeur. Il entretient un lien très fort avec la nature, et le respect de ce lien a une importance primordiale. C'est aussi un homme droit qui place très haut l'obligation à respecter ses engagements. Toute son intelligence et ses capacités sont mobilisées afin de satisfaire ces deux impératifs. Une fois qu'on a saisi cela, son attitude, ses actes, ses choix, deviennent limpides. Ceci sans aucun recours à une quelconque religion – c'est un point remarquable. Si la "nature" lui a donné trois enfants disgraciés, nul n'a le droit de les lui retirer, son engagement à s'occuper d'eux et à les aimer reste entier. Il ira jusqu'à tuer un homme pour ça. de même, la scène où on le voit simplement déplacer un nid de frelons, alors qu'il a la possibilité de le détruire, montre à quel point l'ordre naturel est important – car il n'a finalement aucune raison de tuer ces insectes s'il peut faire en sorte qu'ils ne menacent plus ses proches. On n'imagine pas non plus que Tucker conceptualise une forme de sacré à l'endroit de la nature ; il s'agit du simple respect de l'ordre des choses tel qu'il le conçoit, comme une sorte de bon sens profond qui anime tout son être. Un sentiment inconscient que la nature, c'est aussi lui. Il en fait partie, intégralement. Il compose avec elle, tout le temps, sans jamais la combattre.

Les autres personnages font écho à ces valeurs, telle la vieille dame aveugle, profondément connectée à sa terre, capable de s'éloigner d'un kilomètre de chez elle sans se perdre, et qui gardera le silence sur la scène dont elle a été témoin afin de ne pas incriminer Tucker. Côté négatif, le jeune Jimmy, au-delà du portrait psychologique qu'on pourrait facilement brosser, est un imbécile insolent qui incarne tout ce que l'homme peut entretenir d'illusion pour se donner de l'importance : il est le factice, le mensonge, l'homme sans parole et qui pourtant déblatère ad nauseam.

Offut construit très habilement son intrigue. Les événements s'enclenchent avec une grande logique, et la tonalité du récit, finalement, est loin d'être aussi désespérée que j'ai pu le lire ici ou là. Ce court roman est un coup de poing salutaire, discrètement mais assurément écologique. Traduction sans bavure d'Anatole Pons.
Commenter  J’apprécie          40



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}