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Critique de Syl


Pierre-Marie a presque seize ans… plus qu'un jour… lorsqu'il se retrouve à déambuler dans le labyrinthe d'Ikéa avec ses parents, en quête de son cadeau. Pour son anniversaire, on lui offre une chambre neuve ; les vieux meubles familiaux vont être remisés à la cave. D'une joie, l'expédition tourne à l'épreuve. Rien n'est simple, c'est pénible, pesant, un vrai périple jusqu'aux caisses… puis au parking.
Pierre pressent un évènement, c'est dans l'air froid de l'hiver, ça tombe avec la pluie. Sa mère a le regard lointain, fragile et plein de larmes, comme souvent depuis quatre ans, son père est contracté, hermétique.
Alors qu'il essaie d'aider son père à ranger les cartons dans la voiture, les caser dans un casse-tête chinois, à pester bien silencieusement après eux, à respirer le flegme paternel qui tangue sans jamais couler même au plus fort de la tempête, Pierre voit sa mère descendre de la voiture, les observer quelques secondes et partir. Elle part d'un pas de promenade. Sous la pluie. Comme ça, d'un coup. Elle traverse le parking, dépasse le rond-point, et part… plus loin et encore plus loin…
Où va-t-elle ? On ne sait pas. le soir même, Pierre cherche une explication à leur engourdissement. Ils n'ont rien dit, rien fait, pensant qu'elle allait revenir, qu'elle ne pouvait pas se volatiliser, que c'était une lubie, une contrariété un peu folle. Ils ont attendu, et la nuit est tombée, elle n'est jamais revenue.

« C'est drôle au début… Ordinaire… Ses yeux pâles… C'est tout… » Courts chapitres du début où Pierre raconte la veille de son anniversaire, la virée chez Ikéa, l'étrange sentiment qu'il perçoit, l'affection froide et mesurée, l'union de deux familles, les Legrand et les D'Alembert, des gens modestes, simples commerçants, à une vieille bourgeoisie de Versailles. « C'est tout » est le point aux deux phrases du message que sa mère laisse sur le portable du père comme seule explication à son acte... « Ne vous inquiétez pas pour moi. Je n'en peux plus, c'est tout. »

A sa soeur aînée Alix qui n'habite plus la maison, il confie au téléphone ce monde parallèle dans lequel ils vivent depuis la disparition, une dimension surréaliste tourmentée par l'attente et l'incompréhension. Il en vient à douter de l'amour maternel, accuser l'éloignement de sa soeur, critiquer l'impassibilité de son père, se demander si l'absente allait lui manquer… Ils parlent beaucoup de l'amour, la passion, et sa soeur, taquine, ironise gentiment.
Après avoir prévenu la police et la belle-famille, son père sombre dans une phase dépressive et obsessionnelle. L'assemblage des meubles en kit lui offre l'opportunité de s'évader de la réalité. Pierre se retrouve alors à faire le lien avec ses grands-parents et à s'occuper de ce père qui va de plus en plus mal.

« Il avait l'air impuissant et accablé, fragile soudain, et avec un pli au milieu du front que je ne lui connaissais pas et qui lui donnait un air d'enfant soucieux. Une fois toutes ces démarches énumérées, il m'a demandé :
- Qu'est-ce que je dois faire maintenant, Pierre ?
Mon coeur s'est mis à cogner. Ma vie me faisait l'impression d'être un château de sable dont les fondations étaient attaquées par la marée montante. La trouille m'a pris et j'ai ressenti une envie brutale, un besoin directement surgi de mon enfance : me réfugier dans les bras de ma mère. Cocasse. »

La vie est bizarrement faite. Un drame enraille la routine et pour ne pas chanceler, il faut continuer, du moins essayer, de faire comme avant. Si son père sombre dans la prostration, Pierre poursuit les rituels du quotidien, multipliant les attentions envers les uns et les autres, prenant le rôle du parent protecteur ; lycée, leçons de piano au conservatoire, messes du dimanche, visites chez ses grands-parents… jusqu'aux vacances à Dinard, dans la vieille maison près de la plage.
De l'enfant un peu timide et renfermé, il prend un peu plus d'assurance et fait des découvertes. Sa famille n'est pas cette entité lisse et insipide qu'elle paraît, son père n'est pas simplement cet homme qui partait tous les matins en costume, rasé de frais, à son poste de sous-directeur de banque. Quelques secrets familiaux enfouis dans les esprits renaissent avec lui, certains doux, nostalgiques, d'autres fautifs et passionnés et puis encore un autre, beaucoup plus terrible…
Cette disparition sera l'occasion de les faire progresser chacun dans leur vie et Pierre, malgré l'absence de sa mère, expérimentera de belles choses grâce à sa nouvelle indépendance et l'affranchissement de la tutelle parentale. Il comprendra que le monde est à portée de main.

Dans un style imagé, vivant, parfois plein d'humour, l'auteur à travers Pierre, nous révèle une triste histoire. Cependant, rien n'est pathétique car elle est racontée avec intelligence et sans incrimination. le drame garde une part rationnelle, de celles qui font avancer et positiver la vie. J'ai beaucoup aimé suivre Pierre dans sa quête familiale et ses premiers émois maladroits. C'était tendre et fragile, pudique, délicat et passionné.
Ils sont beaux aussi les passages sur la grand-mère paternelle de Pierre, enfermée dans une maison de retraite… et lorsque Pierre se retrouve avec une amie, sur la plage, vêtu d'une serviette en forme de cabine, certes pratique mais fort désuète, à l'image de sa famille un peu guindée et surannée… et ceux où Pierre aime communiquer à sa soeur, ses désirs et ses peurs… Ils sont nombreux les sourires et les pincements de coeur !

Un beau livre à conseiller.
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