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Critique de J-line


Dans cet ouvrage, intéressant pour quiconque veut aborder la philosophie hédoniste de l'auteur et se donner de surcroît un ‘substrat à réflexion', M. Onfray pose la question de l'être humain - le déliant de l'être, justement, pour l'attacher résolument à l'existence en soutenance. Et de célébrer les possibles techniques qui offriront toujours plus le corps à la volonté, dans une perspective de jouissance réjouissante et au regard des buts librement choisis.
Le livre est documenté, accessible, agréable. Joyeux également, et optimiste. On en sort plus instruit et apte sans doute à plus d'argumentation.
Nonobstant, sur le fonds, quelques réalités propres à la condition humaine et à ses conditions de possibilité ont été écartées – par choix sans doute. Ainsi, M. Onfray tente de défendre le recours aux différentes techniques touchant au corps et à ses possibles – dans une perspective libertaire et démocratique. Et recourt pour ce à la notion de conscience (en soutenance active). Je voudrais esquisser ici quelques critiques susceptibles, elles aussi, de nourrir la réflexion du lecteur - quitte à se voir à leur tour remises en question :
«(…) quand y a-t-il de l'humain plutôt que rien ? », demande-t-il. Et de répondre « (…) quand l'intelligence permet un rapport avec le monde, quand la conscience autorise une relation entre soi et soi ; quand l'intersubjectivité devient possible. (…). Un être humain cesse d'être humain dès qu'il ne sait plus à quoi ressemble le monde, à quoi il ressemble et à quoi ressemble une relation avec l'un de ses semblables (…).», FA, p.136.
Cependant, dissocier radicalement l'humain du vivant, l'assigner à sa pleine réalisation, à sa réussite ou à sa conscience (de soi), c'est oublier que l'humanité s'est construite dans le lien d'abord, dans la liance ensuite. Celle-ci ne réclame pas la réciprocité ; n'exige pas le tangible ; ne requiert pas la présentativité (l'actualisation): elle se construit en une dimension autre – celle de l'au-delà, de la projection ou de l'assomption. Et l'on ne peut substituer la validation par tiers à la valeur intrinsèque. Pas plus que l'on ne peut mésestimer la puissance formatrice ou proprement humanisante d'une prise à soi pour l'autre incapable (de fait ou de circonstance). Pour nous, M. Onfray évacue ces deux valences fondamentales.
Mais le philosophe de poursuivre... «l'intérieur génétique n'existe pas sans interaction avec l'extérieur mondain. Que seraient des chromosomes dépourvus de relation avec le réel sinon un musée momifié (…). [Un être] dépend aussi de son enfance, de ses parents (...), du don des tiers (…)», FA, 184, ... pour conclure à la richesse des donnés existentiels, à la liberté du sujet et à la singularité de chaque situation - par suite de chaque décision, en ce compris en matière de clonage. de considérer donc qu'une information pertinente et qu'une éducation intelligente auront tôt fait d'évacuer les fantasmes associés à la technique. de fait, comme l'utilitarisme global rendu à son propre système de cohérence, un clonage vissé à l'utopie égalitaire et libertaire d'une communauté ouverte à l'altérité des singularités, sécurisé par différentes expériences, encadré par différents codes et intégré dans les processus ou structures formant société, ne pourrait être entaché d'une absolue négativité. Dans un contexte de précautions expérimentales, dans un monde rendu à sa matérialité, dans un univers de liberté et d'individus monadiques laissés à leur libre décision, dans une perspective (une dimension) d'autodéfinition, le clonage ne serait rien d'autre qu'un procédé de genèse (conduisant à la venue d'un être radicalement nouveau – comme tous). Dans ce monde-là, basé cependant sur une fiction conceptuelle, le désir d'autrui, fut-il auto référé, importerait peu pour le développement ou l'épanouissement humain du petit d'homme : rien ne s'opposerait alors à un possible génésiaque supplémentaire. Nonobstant, ce monde-là ne serait plus celui de l'homme relationnel, décentré et éthico-symbolique. Or, dès l'instant où l'on se réfère à ce système de signifiances, à ces réseaux symbolico-affectifs, à ces interférences créatrices et fondatrices, l'argumentation perd sa force. Car les fonds propres à l'humanisation, les substrats fournis au petit d'homme, les dons même évoqués par Onfray (capacité d'accueil, d'ouvrir à l'autre), sont problématiques dans la demande de clonage.
Cela dit, pour lutter contre les fantasmes parasites ( idéologies fascistes de domination, utopies totalitaires d'uniformisation, rêves d'immortalité), M. Onfray propose d'instruire les peuples des réalités sociologiques et biologiques inscrites en une humanité relationnelle, libre et évolutive – et de préciser : «(…)que le clonage n'abolit pas les déterminismes sociologiques, qu'avec lui on transmet des couleurs d'yeux, des pigmentations, des prédispositions physiologiques, certes, mais ni l'intelligence, le génie ou l'imbécillité, autant de constructions qui nécessitent l'interaction de l'individu, des autres et du monde ? Une fois informé de l'inanité de l'opération, personne ne désire une fausse duplication de soi devenue dès lors sans utilité, donc sans raison d'être.», FA, 78…
Nonobstant, l'humain est susceptible de déraison. La rationalité peut peu de chose face aux croyances, angoisses et fantasmes. La parentalité ordinaire, déjà, sous-tend cette quête de soi dans l'enfant descendant : dans son regard ou ses gestes.Cet optimisme omet que l'interaction vraie de l'un (le nouvellement né) et de l'autre qui le reçoit (et du monde) exige une ouverture de cet autre (et une mise à disposition du monde) – l'une et l'autre problématiques dans le mode et le champ psychologiques de l'individu recourant au clonage : parce qu'il centre la parentalité sur un lien génétique, qu'il refuse l'inclusion d'un tiers, est satisfait du modèle (lui-même comme paradigme), fait preuve de narcissisme, ne peut faire son deuil d'un disparu, ne peut assumer sa propre finitude et fait fi des difficultés supplémentaires imposées à l'épanouissement du clone.
Mais Onfray développe sa pensée et soutient que les valeurs et motivations des sciences nouvelles relèvent de l'amplification, tandis que les techniques en leur opérativité soutiennent la réalisation ou l'individualisation expansive des sujets pour le libre épanouissement d'un corps faustien: « (…) la promotion d'une grande santé, le vouloir d'une vitalité sublime, l'expansion de soi comme une vertu à opposer aux mots d'ordre judéo-chrétiens qui rapetissent. L'ensemble se place sous le signe des libertés étendues : (…) rien n'est obligatoire et tout est facultatif. La possibilité d'avorter n'y contraint pas et n'oblige personne, celle de recourir au clonage ou à l'euthanasie non plus. Augmenter les possibilités ne force personne à effectuer un choix qui heurte sa morale. La construction d'un corps faustien ne relève aucunement d'une décision tierce, elle engage chacun sur le terrain de sa propre décision.», FA, 72… Il omet ici l'amplification des déliances et des errances. Celle des vanités propres à une existence référée à elle seule. Il confond en outre pouvoir sur soi, pouvoir sur l'autre ; détermination de soi, détermination de l'autre ; lutte contre la souffrance et lutte contre la sensibilité ; action personnelle et action déléguée. Dans les faits et pour procurer de la joie, la puissance d'agir exige un centre personal qui l'éprouve. Exige une situation relationnelle : sans quoi elle est jouissance sadique ou solipsiste – satisfaction toujours postposée. Onfray se pose à l'opposé d'une négation de la chair (soutenue par les grandes religions du Livre) :c'est une grande santé qu'il décèle ou ambitionne - une densité croissante (en nombre et intensité) des désirs, pulsions, extensions, pouvoirs, réalisations, plaisirs et jouissances. Cependant, il oblitère la nécessité d'une ipséité, d'un self ou d'un soi référentiel soutenant/actant/recevant ces sensations, perceptions, jouissances, satisfactions et épanouissements – oblitère la nécessité d'un état identitaire ou d'une base d'identité qui parle et se parle comme soi définitoire. Une égocité minimale, un je d'intimité et d'appartenance à une chair personnelle une base active des émotions. Or, quelques-unes des techniques nouvelles nient ou renient cette dimension personnelle/personale du corps. Contre l'idéalisme qu'il critique, il ne propose en fait qu'un corps idéel : soumis à l'idée changeante que son propriétaire impersonnel s'en fait – dans l'instant mouvant de la fugacité d'un désir ou d'une volonté d'opérativité. Telle idée se distingue des représentations culturelles (inscrites pour leur part en une certaine durée) pour s'incarner en chair et se limiter au temps du désir, de la mode ou du possible technique.
Il s'agit au final d'obtenir un corps heureux, jouisseur, jouissif (perspective hédoniste, mode scientiste) – cf. M. Onfray : «(…) non pas l'idée platonicienne d'un corps coupé en deux (…) mais celui de la science postmoderne : une chair vivante, fabuleuse, considérable, riche en potentialités, traversée par des forces encore inconnues (…) / [Le corps] : Jusqu'où peut-on compter sur cet irréductible ontologique ? Déjà des artistes travaillent sur le clonage, le génie génétique, la transgenèse, la reproduction d'un homme-machine (…), la redéfinition de l'identité corporelle par la chirurgie (…), la saisie numérique de la matière, la réalité du virtuel par l'imagerie, et tant d'autres chantiers qui, pour en être post-modernes, n'en sont pas moins artistiques.», in La puissance d'exister, p. 170-171… Une chair, dit M. Onfray, «riche en potentialités» : mais la solution proposée fait peu ou prou retour sur l'idéologie honnie - un au-delà du corps réel, actuel et personnel. Onfray parle ici d'un corps qualifié de ses potentialités ( ?) et marqué de «forces inconnues» ( ?) – qui sauront, n'en doutons pas, y loger les réalisations technoscientifiques. Mais ce corps-là est idéel (paradigme ou idéal auquel tendre). Corps très impersonnel donc, soumis à ses prothèses et offert à son double virtuel ou clonal (lors même que l'auteur voudrait que l'homme puisse se définir tel un sujet sans double)…
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