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Critique de CeCedille


L'austère professeur Ortéga y Gasset, titulaire de la chaire de métaphysique à l'université de Madrid, a la plume alerte et le style incisif. Il aime le paradoxe et les vues cavalières sur l'histoire. Il parle clair et n'entraine jamais son lecteur dans les méandres de l'hermétisme. Sans doute à cause de l'origine du texte, paru en "feuilleton" dans le quotidien madrilène El Sol, entre 1926 et 1929, à destination du grand public. Mais au fil des pages, les renvois sont nombreux à ses autres oeuvres (L'Espagne invertébrée 1921; La déshumanisation de l'art ; Méditations sur Don Quichotte 1916 ; L'origine sportive de l'État 1921) à ses chroniques d'El Espesctador). le livre "La révolte des masses" occupe bien une place centrale dans la pensée de notre auteur.
L'idée centrale, en ces temps menaçants de l'entre deux-guerres, est la constatation de l'avènement des masses, ou plus précisément de l'homme-masse. « La foule est devenue visible… elle est devenue le personnage principal. Les protagonistes ont disparu, il y a plus maintenant que le choeur » (p. 85).
En même temps les conditions de la vie de chacun ont été transformées par les techniques :
« La vie de chacun devenu rapidement la vie universelle ; c'est-à-dire que la vie de l'homme de type moyen contient celle de toute la planète… cette proximité du lointain, cette présence de l'absent a élargi, dans une proportion fabuleuse l'horizon de chaque vie. » (p. 108)
Mais celui qu'Ortegat y Gasset désigne comme l'homme masse a abandonné les exigences de son prédécesseur: l'effort, la rigueur, la réflexion, l'exigence. Toutes qualités "aristocratiques" ou élitistes, mais qui se retrouvent indifféremment dans toute classe de la société, sans être le monopole d'aucune et surtout pas de la noblesse héréditaire, car ces qualités sont des "acquis". "Pour moi noblesse est synonyme d'une vie vouée à l'effort" , écrit-il (p.139).
"L'homme masse est l'homme dont la vie est sans projet et s'en va à la dérive" (page 121)
" Il porte en lui en pure puissance le plus grand bien et le plus grand mal » (page 125)

La pensée de droite, qui a revendiqué l'héritage de notre auteur, fait fausse route.Ortega y Gasset s'inscrit plutôt dans la lignée d'un Tocqueville : les aspects conservateurs de ses nostalgies cèdent le pas à la lucidité de ses analyses prospectives, lorsqu'il évoque "bolchevisme et fascisme, les deux essais nouveaux de politique que tente l'Europe". Il y voit "le mouvement typique d'hommes masse, dirigés… par des hommes médiocres, intempestifs, sans grande mémoire. L'un et l'autre sont de fausses aurores... qui "n'apportent pas le matin de demain" ( p.168)
On trouve dans cet ouvrage une pénétrante analyse de l'apparition de l'État, de ses interventions dans la vie, dans l'économie (p. 193 et suiv.) mais aussi de son essence :
L'urbs, la polis, commence par être un creux : le forum, l'agora et tout le reste est un prétexte pour protéger ce vide, pour délimiter son contour. La polis n'est pas tout d'abord un ensemble de maisons habitables mais un lieu destiné à l'unité civile… pour discuter sur la chose publique (p. 226)
Ce livre est daté des crises de l'entre deux guerre et de la Guerre d'Espagne, qui est la déchirure de l'auteur. Mais sa pensée garde un étrange actualité. Sa description du rejet des élites par les "hommes masses", du discrédit de l'homme cultivé, de la montée de l'irrationalisme évoque les formes modernes du populisme (Trump, Berlusconi, pour se limiter aux exemples étrangers !).
Puissent ses réflexions sur l'Europe, si mal en point aujourd'hui, être aussi prophétiques : " L'Europe ne sera pas l'inter-nation ... . l'Europe sera l'ultra-nation... Les nations européennes atteignent aujourd'hui leurs propres limites, et le choc suivant sera la nouvelle intégration de l'Europe.... Ce n'est qu'en passant par une étape de nationalismes exacerbés que l'on peut atteindre l'unité pleine et concrète l'Europe ».
Lien : http://diacritiques.blogspot..
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