Ne pense pas trop et contente toi de travailler correctement.
Voilà. Nous étions parvenus à faire de la Chine une terre stérile, sans arbres, sans insectes, sans rongeurs, sans oiseaux.
Comme beaucoup, j'essaie d'éviter de trop regarder en arrière, de laisser la mémoire m'entrainer sur la pente du remords. Mais en vérité, celui qui, jadis, détruisit dans l'insouciance de la jeunesse tant et tant de merveilles donnerait tellement aujourd'hui pour retrouver quelques uns seulement de ces objets merveilleux qui portaient notre histoire.
p.147.
Ahhh... Quel plaisir de se laisser ainsi aller à la folie !
Nous étions hier des millions de misérables gouttes d'eau qui alimentions aujourd'hui un torrent tumultueux auquel rien ne résistait. Ni l'ancien, ni le puissant, ni le sacré.
Tout ce que, de génération en génération, nous nous étions patiemment transmis au cours des millénaires, tous ces biens précieux entre tous, finissaient là, en suspension, éparpillés dans l'atmosphère, dans les fumées et les cendres dont nous emplissions nous jeunes poumons.
p.91.
Les êtres humains aussi se firent beaucoup moins nombreux : pendant 3 ans, de 1959 à 1961, la chine subit une des pires famines de son histoire, pourtant longue.
Dans ma proche famille, un oncle mourut d'un coup de corne que lui donna une vache à laquelle il disputait son fourrage. Un autre oncle tenta de se nourrir en ingurgitant de la terre. Constipé à en mourir, il ne dut son salut qu'à mon arrière-grand-mère, qui passa des jours et des jours à lui curer les fesses. Avec son doigt. Elle gratta, cura jusqu'à sauver son petit-fils. Épuisée et affamée. C'est finalement elle qui s'éteignit peu de temps après.
Combien de millions de personnes périrent ainsi ? Aujourd'hui encore, les historiens ne parviennent à s'accorder sur un chiffre : 5, 8, 10 millions de morts ? Ou bien plus encore ? Ils ne savent, non plus, comment définitivement désigner cette période noire : " L'étranglement suite au retrait de l'aide soviétique" ? "Les 3 années de catastrophes naturelles" ?.... Ou, plus prosaïquement "L'époque du grand bond en avant de 58" ?
Une seule chose de sûre est qu'en 1962 un terme fut mis au grand bond en avant.
Du même coup les "catastrophes naturelles" cessèrent.
- Proviseur Li, avoue que tu nous as dit que nous étions à l'école pour tout simplement étudier ! Allez ! Avoue !
- Euh... oui, oui, je vous l'ai bien dit...
- As-tu conscience que c'est contraire à ce que nous demande le président Mao lorsqu'il dit "il faut mettre la politique aux commandes" ?
Tu vois que ça se termine plutôt bien, non ?! Dans la vie, il ne faut jamais paniquer et toujours garder espoir !
Ces affiches de rue qui permettaient à chacun de s'exprimer librement sur ses voisins constituaient probablement le moyen d'expression le plus libre, le plus ouvert jamais utilisé en Chine. Les dégâts furent considérables.
Président Mao...tes paroles dont je m'imprégnais et que je déclamais avec fierté...ton visage que j'ai dessiné et peint tant de fois...Qu'avais-tu fait de moi ? De nous ?
Ce sentiment étrange que je nourrissais alors pour toi est indescriptible, tant il était complexe, contradictoire, remontant à mon premier souffle et façonné tout au long de mes années d'enfance.
Xiao Li, "Petit Li" était né avec toi et s'éteignait avec toi.
En 76, le jour du nouvel an lunaire, le président Mao nous délivra cette fois un poême qu'il intitula "La question et la réponse de l'oiseau" et qui nous plongea pendant les mois suivants dans une profonde perplexité :
"L'oiseau gigantesqie parcourut 90 000 lieues
le ciel bleu sur son dos
le regard balayant le sol.
Il y a encore à manger
les patates sont cuites
on ajoute la viande.
Ce n'est pas la peine de pêter"