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Critique de Erik35


NOS ANCÊTRES, LES GAULOIS...

La France (probable) d'avant 14 (1914, bien entendu) : Sa belle époque, ses petites femmes de Paris, la fée électricité, ses grand Rois fondateurs, civilisés mais pas trop, modernes, mais sans excès anachroniques - Clovis, Charlemagne -, Dieu, qui n'existe pas mais demeure fort pratique, sa République (la IIIème, donc) et ses fameux hussards noirs, autrement dit, ses zélés instituteurs, les véritables "héros" (hérauts) de cet espèce d'ovni littéraire, envoyés alors aux quatre coins de l'hexagone afin de dispenser l'histoire... enfin, une belle histoire plus exactement, de celles que l'on raconte aux enfants, de celle digne du célèbre (en son temps) tour de France de deux enfants, de l'imagerie d'Épinal, de l'indéboulonnable Ernest Lavisse et de son fameux (fumeux) roman national.

Cette Histoire de France + A notre chère disparue (remarquons qu'il s'agit ici d'une croix commémorative plutôt que du symbole mathématique) serait, à l'en croire son auteur Patrik Ourednik, un «roman didactique en douze chapitres». Concédons-lui l'exactitude du nombre. Mais pour le reste, gageons que cet écrivain-essayiste d'origine tchèque, traducteur et rédacteur d'une décapante «Europeana. Une brève histoire du XXe siècle», proposant de l'histoire un décalage constant, emprunt d'un humour aussi féroce que pince sans rire, et dont ce premier opus rédigé directement en français, dans un style aussi facile d'accès qu'il est d'une élégance sobre que nombre de "natifs" pourraient jalouser, semble tout d'abord issu, comme une scorie improbable. C'est un peu comme s'il avait décidé de se parodier, de faire dans le "à la manière de..." tellement en vogue en ces années-là, en prenant pour cible tous les lieux communs, les pseudo-vérités, les fausses évidences et vraies distorsions du passé que ces fameux enseignants de l'antique communale furent chargés de dispenser auprès des jeunes "têtes blondes" qui n'en pouvaient mais après des générations d'inculture, de pauvreté historiographique, de néant intellectuel, et dont Ourednik, avec un humour qui n'appartient qu'à lui - dont, pour autant, le lecteur se délecte - semble nous faire le condensé, nous réserver l'ultime filtration qu'un de ces élèves devenu adulte aurait pu, à la fin de la fin de l'émulsion positiviste de ses anciennes années d'apprentissage, retenir et délivrerait à un sien camarade autour d'un revigorant picon-bière au café du commerce, tandis que les bigotes sortent de la messe. C'est en quelque sorte l'histoire de tous ces lendemains qui devaient invariablement chanter (c'est l'instit' qui l'a suggéré, et l'instit', c'est tout de même plus sérieux que le curé, du solide), que notre bon français du cru, pas plus bête qu'un autre (surtout allemand), mais pas si malin non plus, se ressasse, nous ressasse, jusqu'à ce que...

Qui connait un peu l'oeuvre passée ou présente d'Ourednik (que l'on songe à son inquiétant autant qu'indispensable «La fin du monde n'aurait pas eu lieu») comprend (croit comprendre) qu'il se trouve ici de nombreuses anguilles sous roche et que la lecture se doit d'être prise au second, au troisième jusqu'à un x énième degré possible... Mais, et c'est bien là qu'il y a dialectique, dans ce terrible MAIS, le douzième et ultime chapitre (au demeurant aussi bref que la chute de la lame d'une guillotine révolutionnaire) semble devoir mettre tout notre bel édifice conceptuel à bas :

«Dans l'ancien temps on pensait que les malheurs arrivaient en témoignage de l'indignation et de la fureur de Dieu, lequel envoyait des fléaux et des calamités de toute sorte afin que les gens soient plus religieux. Nous savons aujourd'hui que ce ne sont là que balivernes. Mais le destin, lui aussi, peut parfois jouer un mauvais tour. Il arrive dans la vie d'un homme des choses si méchantes et si pitoyables, si cruelles et si inattendues qu'il est impossible de les imaginer. La littérature, la Poésie elle-même ne pourra jamais exprimer toute cette abomination.»

S'il ne peut même demeurer la poésie et les lettres pour "dire" cette histoire impossible des hommes qui, sans cesse, se détruisent, et avec quelle passion dans le grand dérèglement invariable des temps, du destin et du monde (nous sommes dans les premiers temps de la commémoration du premier centenaire de la Grande Boucherie de 14-18)... Alors quoi, aussi désespéré fût-il, l'humour...?
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