AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Osmanthe


Quel étrange livre que l'Usine…déroutant de la première à la dernière page. L'Usine est une véritable ville, avec son gigantesque ensemble de bâtiments, d'innombrables cantines, commerces, espaces verts, cours d'eau, réseau de transport et même logements…Trois nouveaux embauchés, comme contractuels, viennent d'arriver. Il y a Yoshio Ushiyama, jeune homme qui a perdu son job mais a pu se faire pistonner par sa copine qui bosse dans une agence d'intérim. Il va devoir s'atteler à la correction, manuelle et non informatisée, de textes sans queue ni tête dont on ne sait pas à quoi ils servent…Sa soeur Yoshiko est également embauchée, quant à elle au service reprographie, à la machine à déchiqueter les documents. Quant à Furufué, il est censé étudier les mousses, sacro-saintes et pléthoriques sur le site, et s'atteler, en prenant surtout tout son temps, à la végétalisation des toitures, qui seront peut-être d'ailleurs réalisées par des filiales. Ces protagonistes vont découvrir peu à peu cet univers déstabilisant, avec leurs collègues, pour la plupart féminines, aussi prévenantes qu'un peu farfelues et désoeuvrées, sa faune à la fois non endémique à l'usine et qui semble pourtant s'être adaptée spécifiquement à son milieu (les ragondins gris, les lézards des lave-linge et surtout les cormorans de l'Usine), ou encore son étrange déculotteur, un mystérieux maniaque sexuel qui décidément ne se montre pas beaucoup…Tout ce monde-là évolue en vase clos dans cette entreprise dont on ne sait finalement pas bien quelle est son activité, dans un ennui mortel, où nos protagonistes ont souvent du mal à ne pas piquer du nez les après-midi…Sans parler du pervers de la forêt, qui souligne peut-être quelques déviances de vieux messieurs et leur goût pour les culottes de lycéennes par exemple ? Ou encore ces animaux hors normes, comme symbole des atteintes à l'environnement ?

Car derrière cette curieuse histoire à l'action ténue, apparaissent me semble-t-il des thématiques à problèmes pour le Japon. Ce texte sonne comme une dénonciation de l'organisation du système productif japonais, avec ses conglomérats gigantesques (keiretsu), son emploi à vie ne facilite plus aujourd'hui le dynamisme et la créativité, remplacé par une précarisation galopante guère plus enthousiasmante pour des jeunes qui doivent souvent se satisfaire de petits boulots. L'auteure semble dénoncer l'absurdité du monde de l'entreprise, avec sa spécialisation des tâches à outrance, son management défaillant, son étonnant retard dans la numérisation des tâches, dans l'appropriation de l'informatique et de l'anglais par chacun, qui ne permet plus au Japon de lutter avec agilité en ce XXIè siècle où l'ogre chinois a clairement pris le dessus.

Le style est assez surprenant également, les personnages se succédant sans transition pour parler à la première personne, ce qui ne permet pas toujours de savoir aisément qui parle. de plus, il est justement parlé, très courant, sans apprêt. L'histoire progresse assez peu, et la fin apparaît un peu précipitée, sombrant dans un fantastique facile et pas très heureux à mon sens, comme si l'auteure avait finalement calé, ne sachant plus quoi faire de ses personnages. On reste sur sa faim, car entre le déculotteur évoqué et non exploité, et les animaux étranges, on pensait s'acheminer vers un passionnant thriller. L'impression générale est donc mitigée, mais ce récit a le mérite de se démarquer de certains romans japonais à succès en France à coloration feel good quelque peu en décalage avec les côtés sombres de la société japonaise.

Je remercie babelio pour cet envoi dans le cadre de masse critique, et les éditions Christian Bourgois, qui nous font découvrir pour la première fois en France cet auteure, qui a pour un autre livre obtenu en 2014 le prix Akutagawa.
Commenter  J’apprécie          572



Ont apprécié cette critique (54)voir plus




{* *}