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Critique de cprevost


« Poussière dans le vent » explore le douloureux dilemme auquel se trouve confronté un clan d'incertains amis durant plusieurs décennies : rester et s'exposer à l'autoritarisme d'un régime, aux pénuries de la « Période spéciale », aux nivellements de toutes sortes ; ou bien partir et perdre dans l'anonymat et la solitude son identité véritable. « C'est un livre très viscéral, déclare Leonardo Padura, j'y ai versé ce que j'avais à l'intérieur de moi non seulement par rapport à l'exil mais surtout par rapport au sort de ma génération, prise entre fidélité et trahison, sentiment d'appartenance et déracinement, ce déchirement de se séparer d'une partie de soi ».


Ce dernier livre de Leonardo Padura naturellement doit être lu comme un récit plein de suspense où les évènements Cubains contemporains, les expériences personnelles et générationnelles sont avant tout objets d'une fiction romanesque. Si l'auteur mélange, avec beaucoup de véracité, les éléments historiques, humains d'une époque et divers espaces, c'est pour leur donner la forme incontestable d'un vrai roman : le quartier de Fontanar à La Havane, un élevage de chevaux Cleveland Bay dans le nord-ouest des États-Unis, les Miami et Hialeth cubains, les Madrid, New York, Porto Rico, Buenos Aires, Toulouse et Barcelone immigrés. Il s'appuie pour cela sur les constants allers et retours qu'il affectionne tant entre présent et passé, opulence et manque. Six cents pages durant, suivant le destin d'une vingtaine de personnages, l'auteur interroge l'exil sans fin de plusieurs générations d'havanais. Ils ont grandi avec la révolution, sont passés de la confiance intéressée dans le régime à la très apolitique désillusion matérielle. « Plusieurs d'entre eux, de façon cohérente, par inertie et aussi par instinct, avaient communié depuis leur jeunesse avec l'idéologie officielle et, en raison de leurs mérites et leurs dispositions, rejoint ses avant-gardes d'excellence : militants de la Jeunesse communiste et Parti ensuite (…) [Ils] se sont tirés de Cuba parce qu'ils ne supportaient plus de vivre dans un pays dont même Dieu ne sait pas quand la situation va s'arranger et d'où les gens se barrent même par les fenêtres parce que, là-bas, ils s'obstinent à arranger les choses avec ces mêmes solutions qui n'ont jamais fonctionné ». Deux dates, deux épisodes encadrent le récit : 1990 où Clara rassemble une dernière fois le groupe dans sa si merveilleuse maison avant que la disparition et la mort mystérieuses de deux amis ne dispersent le clan aux quatre coins du monde; et 2016 où les différents parcours dans l'exil se trouvent enfin éclairés d'une pale lueur par la navrante révélation d'un pitoyable secret.


« Qu'est-ce qui nous est arrivé ? Il regardait vers le large, puis observait autour de lui et voyait la ville se fissurer, s'obscurcir, se dégrader.» À cette interrogation, chacun des personnages semble donner la même et lancinante réponse : « il n'avait qu'une vie et il voulait la vivre, pas la perdre dans la frustration (…) Il nous est arrivé que nous avons perdu. C'est notre destin, camarades, frères de combat : de défaite en défaite … jusqu'à la victoire finale ! ». Chacun cependant bourgeoisement vit l'exil à sa manière : modeste pour Irving, replète pour Darío, égoïste pour Elisa, sans avenir pour Lubia et Fabio, suffisante pour Ramsès et Marcos… mais tous font le triste constat des effets néfastes de « tous les exils (…) La politique n'était pas une obsession pour presque aucun d'entre eux, juste un panorama, et toujours une entrave qui les poursuivait …». Seule Clara, protagoniste isolée, désabusée, qui semble regarder le monde sans jamais le comprendre, reste fidèle à ses souvenirs et à sa si merveilleuse maison. « Pourquoi, alors qu'il y en avait tellement qui partaient, des centaines de milliers d'autres restaient-ils ? Certains exprimaient leur satisfaction et même leur confiance dans l'avenir, d'autres évoquaient une inertie paralysante, d'autres le besoin de préserver leurs biens, etc., etc. (…) La seule idée de se retrouver obligée d'être autre chose, dans un autre lieu la paralysait. Et, en attendant, elle espérait que les choses changeraient, que la vie s'améliorerait : parce que ceux qui résistaient et restaient et en prenaient plein la gueule le méritaient, ils l'avaient bien gagné, pour eux et pour leurs enfants.»


Si Leonardo Padura porte un regard extrêmement critique dans ce denier livre sur l'histoire du régime castriste et sur les changements en cours et s'il déserte les quartiers populaires, la critique ne devrait pas renoncer pour autant aux accusations habituelles à son égard de complicité avec le pouvoir. Lorsqu'il critique en effet : « les engrenages d'une société où ce qui n'était pas illégal était interdit, mais où les gens trouvaient des failles et se permettaient de voler (l'État) sans se considérer pour autant comme des délinquants, et vivaient mieux sans travailler qu'en travaillant. » ; lorsqu'il qu'il dénonce : « Tous ceux qui le pouvaient volaient. Ceux qui avaient de l'argent achetaient. Ceux qui ne pouvaient ni voler ni avoir d'argent restaient dans la merde » ; lorsqu'il critique et dénonce donc, la crainte est naturellement qu'il le fasse encore au nom d'un vieux castrisme honni et disparu. Il est vrai que tous les très antipathiques personnages de « Poussière dans le vent » encouragent grandement cette lecture narcissique de la classe moyenne ordinaire : « Ne pas se considérer comme un bourgeois mais profiter des bénéfices du statut économique et social d'un bourgeois prospère ». le communisme est toujours pour cette classe un merveilleux ennemi, une posture de la honte qu'elle prend volontiers. Elle a honte, comme les beaux, intelligents, diplômés et très machos personnages de Leonardo Padura, honte de ne pas baigner intégralement dans le confort, la satisfaction de soi, de ne pas s'être choisie comme idéal indépassable. C'est pour notre part pour des raisons inverses de la critique, sans bouder un indéniable plaisir de lecture, que nous aurons sans doute moins apprécié ce dernier opus.
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