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Critique de afriqueah


Dans Water Music, T C Boyle décrit Mungo Park comme un peu demeuré, acceptant tout, pratiquement esclave des rois Maures dont il fut le prisonnier.
En lisant « Voyage dans l'intérieur de l'Afrique, », l'image de T C Boyle me paraît exagérée dans son horreur, romancée dans ses excès, et pas très crédible finalement. Non seulement Mungo n'est pas un demeuré, mais sa candeur réelle lui permet de faire un voyage jamais fait auparavant.et d'être le premier à en réchapper.

Pourquoi le fait-il?

C'est officiellement une mission géographique (même si pour son deuxième voyage, l'aspect commercial initial est dévoilé) que Sir Banks, de l'African Associacion, de Londres confie à Mungo Park en 1795 : rechercher la source du Niger, étudier son cours, vérifier s'il bifurque vers la mer ou se perd dans le désert du Sahara.
Avec ingénuité, oui, sur le but réel de sa mission, avec un regard vrai sur le monde qu'il découvre, Mungo Park part donc vaillamment en compagnie d'un interprète et d'un domestique. Il est chargé de présents en verroterie, en tissus, en ambre, en armes à feu et quelques autres bagatelles. Et se fait pratiquement dès le début de son expédition taxer, puis piller, puis confisquer tous ses biens.
Au lieu de pleurer sur son sort, il imagine un marchand indien ayant réussi à entrer en Europe, portant sur son dos une boite pleine de pierres précieuses « ce dont il faudrait s'étonner ne serait pas qu'on lui volât une partie de ses bijoux, mais qu'un premier voleur en laissât quelque chose à prendre au second. » Tout le monde en conviendrait.


C'est que les différents royaumes perçoivent chacun des droits de douane, et qu'il est évident pour tous que ce Blanc est un traitant (venu acheter des esclaves pour la traite ou pour l'or). Lorsqu'il n'a plus à distribuer que quelques cheveux, ou ses boutons de veste ou même des petits mots écrits tout s'aggrave : non seulement il n'a plus de quoi acheter des vivres, mais en plus on le prend pour un espion.
Passer par tous les outrages, la faim, les vols, la soif, le manque de sommeil, pour juste voir un fleuve, paraît incompréhensible à tous. Mungo, lui, croit à sa mission, et même devant les plus grandes difficultés, bien qu'il soit presque mourant, et bien qu'il ne peut puisse prétendre se faire entendre, le fait de retourner en Angleterre sans avoir rempli l'objet de sa mission lui paraît un plus grand malheur.
Alors, il se tait, (de toute façon il ne parle pas l'arabe et l'interprète a lâché l'affaire) il supporte, il obéit aux ordres, il essaie de se faire le plus insignifiant possible.
Le problème n'est pas la méchanceté et l'avidité des Maures ou des Nègres, selon ses propres mots, car il sait que le problème, c'est lui, son intrusion de Blanc sans raison dans un monde hiérarchisé, policé, avec sa justice et ses règles, ses douanes et ses conflits.

Lorsqu'il se retrouve seul dans un immense désert, sans son cheval qu'il a dû laisser en route, seul au monde « entouré de bêtes féroces et d'hommes non moins barbares, à 500 milles (plus de 800 kilomètres) de l'établissement européen le plus proche» … une petite mousse en fructification attire son regard : « je cite ce fait, dit il, pour faire voir de combien de petites circonstances notre esprit peut quelquefois tirer de la consolation ». Les lions ont dû comprendre, il en croise deux et chaque fois ils le laissent passer. En le regardant.
Il ne se prend pas pour un héros, ni pour Saint Jérôme, son sort à lui n'a que peu d'importance, ce qui importe, c'est sa mission, c'est le regard sur les autres, et la transmission de ce regard.

Rousseau disait, à la même époque : « Il n'y a guère que quatre sortes d'hommes qui fassent des voyages au long cours, les marins, les marchands, les soldats et les missionnaires. Mungo n'est rien de tout cela, ce n'est pas non plus un aventurier, ni un explorateur dressant des cartes, et surtout pas un missionnaire, lui qui voit les deux religions : mahométisme, comme il dit, qui a apporté la justice, l'éducation, l'écriture, tellement importante, ainsi qu'une certaine culture. Et la religion des Nègres, assez proche De Voltaire, un Dieu créateur, horloger mais qui n'a pas le temps de s'occuper des affaires des hommes. Les Nègres vivent dans le présent, avec peu d'intérêt pour l'avenir, le bonheur c'est ici et maintenant.

Il nous décrit aussi leurs travaux, et détruit le mythe de la paresse, leurs rares maladies, mais maladies, les enterrements souvent la nuit, et ce qu'il voit : la polygamie, avec l'entente relative des co –épouses, et l'intervention d'un « sorcier » désignant la plus rebelle et la fustigeant publiquement. Les femmes allaitant pendant parfois 3 ans leurs bébés, l'homme prend d'autres femmes, l'amour paternel doit donc se partager et l'amour , la tendresse jalouse des femmes pour leurs enfants s'en trouve renforcé.

Tendres sont les Nègres, surtout les plus démunis d'entre eux, les femmes, les vieilles femmes qui lui donnent une poignée de pistaches grâce à laquelle il survit, et les esclaves, qui lui donnent de l'eau alors qu'il va mourir de soif. Mungo se sent en fraternité avec eux, lui qui est un homme simple.

Et puis il décrit l'esclavage, et ses différents tenants. A quelque degré de civilisation que l'on soit, dit il, nulle société ne peut se passer d'une subordination quelconque et d'une certaine inégalité mais lorsqu'une partie de la société dispose arbitrairement et des services et des personnes…. Voilà la servitude.

Les esclaves le sont soit de naissance, soit prisonniers de guerre, car ces royaumes se font continuellement la guerre entre eux, soit réduits par la famine, l'insolvabilité, les délits. En fait, cet esclavage est domestique, tout le monde travaille ensemble sans hiérarchie.
Mungo fera les derniers 800 kilomètres avec une caravane d'esclaves, mis aux fers car destinés à la traite, il partage leur marche, il les entend chanter, heureux malgré leur horrible sort, il choisira de monter dans un bateau négrier américain, et leurs adieux seront déchirants, comme s'il ne se réjouissait même pas de rentrer en Ecosse.
Sa seule joie durant cette longue errance de voyageur ? Lorsqu'il aperçoit le Niger « Large comme la Tamise l'est à Westminster, il étincelait des feux du soleil et coulait lentement ».
En ai-je assez dit pour vous donner envie de lire ce témoignage passionnant qui mine de rien, avec simplicité, donne du Soudan( actuel Mali) du XVIII siècle , ses habitants, leurs moeurs, la botanique ( le karité) ses richesses, son organisation sociale et politique, Ségou la ville construite, une image qui plus jamais ne sera la même.
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