Peut-être aussi qu'il est mort. Qu'il s'est mis une balle. Un petit truc rond qui ressemble à n'importe quel point à la fin de n'importe quelle phrase.
On sort du bar. Il fait froid, je m'en fous. On marche un peu. Je me retourne et je vois que les deux traînées qu'on laisse dans la neige se rapprochent de plus en plus depuis la sortie du bar. Comme des droites convergentes en mathématiques au collège. Il y aura forcément un point de rencontre mais je ne sais pas lequel de nous sera la sécante.
Six ans plus tard je comprendrais que la dépression s’immisce grâce à cette pensée. À quoi ça sert de faire mon lit, je vais le défaire ce soir ? Si on laisse cette pensée gagner on est foutu, c’est l’essence même de la vie de faire pour défaire.
Quand les hérissons naissent, leurs pics sont mous au début. Leur défense n'est pas au point, ils sont fragiles. Ils durcissent assez lentement et leur premier hiver peut leur être fatal à cause de l'hibernation. S'ils se collent à leurs proches, ils se feront piquer et mourront d'infection. Et s'ils se mettent trop loin, ils mourront de froid. La survie du jeune hérisson va dépendre de sa capacité à trouver la bonne distance. C'est ce que je cherche depuis qu'il m'a dit qu'il allait mourir, la bonne distance. Jusqu'à mes quatorze ans, j'étais trop proche de lui, je voulais être lui, et ça m'a piqué bien salement.
J'envoie des phrases aux gens, eux ressentent et je m'adapte à ce qu'ils ressentent, je les copie.
Mais surtout, je n’arrête pas de me demander : que deviennent les larmes qui n’ont pas coulé ?
C’est plus comme une distance neutre, voilà. Un pas de côté. Je marche à côté de la vie. Je vois les sensations mais j’ai le bras trop court pour les attraper. Ou peut-être que j’ai peur que ce soient elles qui m’attrapent.
Six ans plus tard je comprendrais que la dépression s’immisce grâce à cette pensée. À quoi ça sert de faire mon lit, je vais le défaire ce soir ? Si on laisse cette pensée gagner on est foutu, c’est l’essence même de la vie de faire pour défaire.
Tant qu'il y a un point d'interrogation derrière ton prénom, c'est que tu n'es pas mort. Je comprends. Le point final ça fait peur.
Parfois je suis convaincu que je peux accomplir tout ce que je veux, je ressens une rage en moi, créatrice, qui ne s'éteindra jamais. Dans ces moments je rêve de découvrir une planète, d'inventer la cinquième saison, un nouveau dieu, de trouver un nouveau temps pour conjuguer les verbes, une nouvelle heure dans la journée. Rien ne peut m'arrêter, ni l'attraction, ni la gravité, ni même les lois de la Bourse, de la République, de la morale.
Et puis souvent dans la foulée, tout s'écrase. Les idées n'ont pas eu le temps de courir le cent mètres qu'elles se prennent mon crâne. Elles s'écrasent sur mon front et resteront là à tout jamais comme cet insecte écrasé depuis trois ans sur ton pare-brise. Je suis une merde, je ne ferai jamais rien, je ne serai qu'un raté à tout jamais.