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Critique de Tempsdelecture


Ballade pour Georg Henig a reçu le Grand Prix de littérature étrangère au Salon du livre de Bordeaux en 1991, dont il était éprouvait une grande fierté nous précise Marie Vrinat dans la postface de cette nouvelle édition.

Nous voilà donc en pleine capitale bulgare, là où Victor le narrateur va revivre le souvenir de sa relation avec le luthier, le maître Georg Henig, arrivé de sa Bohême natale en 1910 : l'incipit nous immerge directement dans le bain de ce mélange de nostalgie et de mélancolie, perceptibles tout au long du récit. Celles des souvenirs du narrateur remontant doucement à la surface, qui les contemple depuis sa situation présente. La contemplation des dernières traces de l'homme aux violons par le biais de ses dernières lettres, qui ont disparu avec lui, allège un peu la disparition du domicile parentale, englouti par les années passées. Cette ode aux souvenirs est entretenue par le discours qui s'adresse directement au luthier, dont il ne fait que célébrer la mémoire, avec tendresse, admiration, un peu de pitié, mais beaucoup de respect, de celui qui est dû aux artistes maudits, morts dans l'indifférence générale malgré le talent et le travail acharné. Et par le retour en arrière de la narration de plus de vingt-cinq années.

Cette histoire, tragique et touchante, est aussi celle d'une belle amitié, qui ne se mesure pas à l'aune des années vécues, d'un jeune garçon avec un homme qui aurait pu être son grand-père, et qui l'a été dans une certaine mesure. Celle de la musique des violons uniques que l'homme fabriquait, du Violon ultime, de l'oeuvre de sa vie, de la musique de Dieu. Celle d'un homme, désormais, célébrant à sa façon la mémoire de ce luthier qui s'est surpassé dans une ultime création, créant l'instrument unique, outrepassant tous les autres violons, avec une oeuvre magistrale, sans aucun antécédent.

Cette histoire possède une saveur qui fleure bon la vieille Europe, cette Mitteleuropa, là où les dissensions familiales entre différences ethniques sont encore vivaces, la famille paternelle du héros étant valaque – communauté des Balkans, minorité roumanophone en Bulgarie – et donc méprisée par la famille de riches propriétaires terriens qu'étaient les Médarov, dont est issue la lignée maternelle. J'ai apprécié le charme de quelques retours en arrière dans le passé de Sofia, ces tableaux pittoresques, allègre et impétueux, aussi instructifs que suaves, qui ne sont pas sans rappeler les textes et le Prater de Stefan Zweig, ces printemps calmes et heureux avant la tempête. Cette musique sémillante et bouillonnante d'il fait bon vivre, désormais en cendre, non loin de la tombe de Georg Henig, ravivé un instant à travers les souvenirs de notre violoniste en herbe. Victor Paskov nous gratifie d'une écriture évocatrice, fine et d'une grande distinction et d'une grâce unique, qui lui permet de façonner au burin plus que les portraits, les sculptures de ses personnages, presque érigés sur un piédestal par la force sacrée du passé. J'ai particulièrement aimé les descriptions de ses parents, celle de son père, tout spécialement « seul mon père était grave, beau et marmoréen. Une mèche noire tombait sur son front de marbre, il la rejetait en arrière d'un mouvement brusque de la tête », où, à mon sens, l'art de l'auteur frôle la perfection. Il n'y a pas que dans la beauté et la félicité que l'auteur exerce son art avec dextérité et finesse, le destin dramatique de l'artiste luthier est rendu avec la même justesse comme si la musique née de ses mains pouvait presque être perçue à travers cela.

C'est un vibrant hommage à l'art, au véritable don et à la vocation artistique que ce texte : d'une part à travers la poésie qui se dégage à travers le phasé délicat de l'auteur, dont les pages belles succèdent les unes aux autres. D'autre part, à ce double tribut rendu au talent du luthier indissociable du pouvoir musical de l'instrument. Il y a Georg Henig l'artiste, le maître, celui qui crée son propre vernis, celui qui protègera les instruments, et ces autres, dont ses élèves, les usurpateurs, ceux qui copient, empruntent, pillent, ces esprits qui ne semblent pas intégrer que l'Art est dans la création, et le don, et non dans les outils qui ne sont que des instruments, vides de sens et d'âme. C'est aussi, quelque part, la célébration de l'Art en tant que voie supérieure, salvatrice, celle du trompettiste virtuose, le père du narrateur, d'une réalité plus morne, d'un quotidien besogneux et aride, encore alourdi par le désir inassouvi d'un gigantesque buffet afin d'asseoir un certain sentiment de supériorité. Là où l'Art gagne, l'autre échoue.

Ce texte, à l'image de l'art littéraire de Victor Paskov, est d'une beauté et d'une finesse incomparables, j'y ai pris autant de plaisir à le relire qu'à le lire, je ne peux que remercier les éditions de l'Aube d'avoir procédé à sa réédition. Si l'auteur était effectivement dans l'incapacité matérielle de nous faire entendre la merveilleuse musique du violon de Georg Henig, je crois que l'on en a un bon aperçu à travers l'enchantement que l'on ressent à lire sa prose.




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