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Critique de Pasoa


Mieux vaut tard que jamais… Tardive, la découverte de la poésie de Pier Paolo Pasolini a été pour moi une grande révélation.

La réception en France de l'oeuvre (très éclectique) de Pasolini s'attache surtout à son cinéma, à ses films comme L'Évangile selon Saint-Matthieu, Des Oiseaux petits et grands, Théorème (pour ceux que j'ai vus) et d'autres qui auront marqué une époque, celle des années 60-70, mais aussi le 7ème art.

Mais au fond Pasolini écrivain a davantage produit que le cinéaste. En plus d'être un intellectuel engagé, Pasolini était avant tout poète et romancier.
Si l'on sait de lui qu'il fut un farouche adversaire d'une société industrielle devenue une société de consommation, qu'il fut un antifasciste engagé et un homosexuel assumé, qu'il fut assassiné en 1975 pour des raisons restées encore aujourd'hui très obscures, l'oeuvre poétique de Pasolini reste assez méconnue.

L'écrivain cultive le paradoxe. Il avait une passion pour le monde antique, pour la religion chrétienne, il se sentait concerné par la cause des déshérités, des déclassés mais sans jamais adhérer à aucun mouvement. Il y a toujours chez lui une vision profane, profanatoire aussi, de la tradition. Il était très critique envers son époque, mais cette attitude ne lui ôtait pas la passion du langage, du beau langage :

« Les rides (Le rughe)

Intermittence du coeur
Jeunesse et air
Venu des Hauteurs à la mer
Sous les premières étoiles
Et le soleil qui disparaît...

On peut donc mourir
De la nostalgie
Des premières lueurs
Le long d'un vieux chemin

De San Giovanni ou de Gleris
Ou de quelque village,
Sous les monts noirs
Le long du Tagliamento,

Où la jeunesse
A un goût de blé mouillé
Et le temps n'est plus
Qu'une voix du vent ? »


Tout au long des pages du recueil, on découvre une poésie d'une inspiration profondément intime, des origines (celles du Frioul et de sa langue) mais jamais méditative, recueillie. L'écriture de Pasolini est une poésie de l'interpellation, de l'altercation. C'est une poésie très personnelle, sensuelle, engagée, qui cherche en permanence sa voix :


« J'ouvre la fenêtre sur un blanc lundi matin
Et la rue indifférente dérobe
Parmi sa lumière et ses bruits
Ma présence rare entre les persiennes.
Ce mouvement que je fais... ces jours-là hors
Du temps qui semblait dédié
À moi, sans retours et sans trêves,
Espace saturé de mon état,
Presque une extension de ma Vie, de ma
chaleur, de mon corps...
Et il s'est interrompu... Je suis dans un autre temps,
Un temps qui dispose ses matins
Dans cette rue que je regarde, inconnu,
Parmi ces gens qui sont le fruit d'une autre histoire... »


J'ai été très touché par nombre des poèmes. Certains (notamment ceux extraits de Poésie avec littérature (Poesia con Letteratura, 1951-1952) et de Sonnet printanier (Sonetto primaverile, 1953) confinent à la grâce, sont emplis d'une beauté qui laisse sans voix, plonge dans un instant sans limites :

« La vie semble s'arrêter, et autour l'air
Se tait. Toute trace de ce parfum
D'eaux de pluie disparaît de la terre, parfum
De bois, bouleversant, de cette

Sérénité d'autres étés. Cette contrée
Où la lune brûle pourtant une misère bien corporelle
Dans un souffle de rosée ne reste plus qu'espace...

Mes sensations sont élevées, légères, comme
Celles d'un adolescent, qui, impur, contient son mal
Son ardeur, en lui-même, mais qui sait

S'affranchir, pur, dans le monde. La joie peut donc
Trembler dans cette tristesse qui est la mienne,
L'ancienne joie dans la brise nouvelle. »



Qu'elle soit cinématographique, théâtrale ou romanesque, toute l'oeuvre de Pasolini est imprégnée de poésie, elle en est le coeur battant. Esthétique, revendicative, charnelle, passionnée, provocante, nostalgique, sa poésie est un peu tout cela mais bien autre chose aussi. Elle est en tout cas incontournable.

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