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Critique de HundredDreams


« Pire qu'un crime, une marée noire. »

C'est avant tout la couverture de ce roman qui m'a donné envie de m'arrêter sur ce premier roman de Patchenko, nom de plume d'un ancien journaliste d'investigation.
Le résumé de la quatrième de couverture a fini de me convaincre.

Le plan « POLMAR », POLution MARitime, est déclenché lors d'une pollution marine accidentelle.

« POLMAR » est un thriller écologique particulièrement efficace qui nous plonge dans l'histoire d'une marée noire. Ce drame fictif prend l'allure d'une histoire vraie, étayée par une documentation solide et avérée basée sur les nombreuses marées noires qui ont marqué le monde et la France en particulier. L'intrigue apparaît ainsi totalement crédible.

J'ai passé une dizaine de jours totalement accaparée par cette lecture et j'ai appris beaucoup.

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Le 16 mars 1978, l'Amoco Cadiz provoque une gigantesque marée noire après avoir fait naufrage au large des côtes bretonnes françaises, provoquant une des plus grosses catastrophes écologiques au monde.

« En mars 1978, elle était défigurée par une pièce d'acier grotesque et effrayante, une énorme tête de requin pointée vers le ciel. La gueule du mastodonte formait un angle impossible avec sa poupe, comme si le coude vengeur d'un dieu agacé avait brisé en deux la chimère flottante d'un arrogant disciple. Les flancs du géant de métal qui obscurcissait l'horizon bouillonnaient, larguant leur cargaison, ruinant les côtes rocheuses de la Bretagne du Nord, tartinant de brut saoudien trois cents kilomètres de littoral. le pétrolier, échoué à deux kilomètres de la digue, était tellement imposant que Raymond ne put s'empêcher de tendre le bras, tant il paraissait proche. Excalibur titanesque plantée dans une enclume en caoutchouc vulcanisé, l'Amoco Cadiz agonisait. »

Le 11 décembre 1999, l'Erika, pris dans une tempête, se déchire en deux au large des côtes bretonnes, polluant 400 kilomètres de côtes françaises.
Le 13 novembre 2002, le Prestige, constate une avarie de coque, alors qu'il se trouve au large de l'Espagne. le navire va dériver pendant six jours dans l'Atlantique avant de se briser en deux et de sombrer, laissant le pétrole se déverser dans l'océan et polluer les côtes espagnoles, portugaises et françaises.
En juillet 2020, le vraquier Wakashio s'échoue au large de l'île Maurice, au coeur d'un lagon très riche en terme de biodiversité, mais également d'une extrême fragilité.

Ce ne sont que quelques exemples, mais ces catastrophes écologiques ont eu un impact désastreux sur les régions touchées et ont marqué durablement les mémoires. Nous avons tous en tête des images douloureuses d'oiseaux mazoutés agonisants sur une mer gluante et noire, d'animaux marins échoués, de poissons asphyxiés par les hydrocarbures, de plages souillées.
Il y a des dégâts physiques immédiats, visibles et incontestables sur l'environnement, mais il y a également, à plus long terme, des conséquences préjudiciables et moins connues, pour les espèces animales, végétales, ainsi que pour l'homme.

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Ce qui m'a réellement intéressée, c'est la construction de l'intrigue, à la fois roman et reportage, comme si une marée noire frappée à nouveau la Bretagne.
On suit la gestion de la crise et tous les acteurs de ce drame pas à pas, depuis les heures précédents l'accident jusqu'au dénouement final, totalement imprévisible et dont je n'ai pu me détacher.

Pour résumer très succinctement l'histoire, le Gendis, un supertanker, est éperonné par un vraquier au large de Brest. Plusieurs cuves sont éventrées lors de la collision et l'épave à l'agonie du pétrolier, coupée en deux, en proie aux flammes, déverse sa cargaison de pétrole dans la mer.
Par nappes immenses, elles suivent les courants marins et se dirigent vers le littoral français.
La marée noire est inévitable.
Les dégâts sur la faune seront considérables.
Nos belles côtes de l'Atlantique seront saccagées, maculées d'une gangue noire, visqueuse et nauséabonde.

« La mer, leur mer ne se ressemble plus : sa couleur a changé, son odeur a changé, sa danse est différente, même son chant assourdi n'est plus le même. »

Tout le monde parle d'accident.
Et si cela n'en était pas un ?

« Pour l'heure, la mer portait le deuil. le bruit de ses pleurs était étouffé par une épaisse couche noire et grasse. »

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L'intrigue est particulièrement efficace et s'appuie sur une documentation très riche et détaillée.
Nous suivons les hommes sur le terrain qui tentent par tous les moyens, parfois au péril de leur vie, de combattre cet « ennemi tentaculaire » et de limiter au maximum la propagation du pétrole.
Nous suivons également l'enquête d'une jeune journaliste ambitieuse, Milena Ramirovic, persuadée que cet accident est un sabotage.

Au fur et à mesure que l'intrigue se dévoile, le lecteur s'interroge sur les responsables de la catastrophe.
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Ce qui est ahurissant c'est que certains acteurs ne se préoccupent que de leur image, de l'opinion publique, de sondages, de communication, de retombées médiatiques, totalement indifférents au drame écologique et environnemental qui se joue.
Car tout est une question de pouvoir et d'argent.
Qui est responsable de cette catastrophe ?
Qui doit payer ?

« La préservation des mers demeure une utopie de boy-scouts sur le retour, un voeu pieux adressé au dieu du négoce, ce dieu unique que le monde s'est enfin trouvé. Qu'existe-t-il de plus consensuel qu'une liasse de billets de cent dollars ? Face à la puissance financière des acteurs de la marine marchande, les écolos de l'océan ressemblent aux hippies qui squattaient Central Park en 1968. Pleins d'idéaux, baroques, discordants… En un mot : inoffensifs. »

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Ainsi l'auteur élargit le débat, pas uniquement sur la catastrophe écologique et la biodiversité menacée, mais également sur la pratique de la complaisance, le problème des paradis fiscaux et des multiples sociétés écrans, l'opacité des transactions financières, le rôle des traders qui jonglent avec des sommes colossales, la pression des actionnaires.
A cela s'ajoute le petit monde très fermé des grandes compagnies pétrolières et des armateurs, avides et peu enclins à payer la facture.
Un beau panier de crabes.
Tout est moyen de rentabiliser et faire des profits : affréter des navires poubelles, exploiter une main d‘oeuvre étrangère bon marché, …

« Cette opacité créée de toutes pièces était la norme. Tout le monde le savait. Tout le monde le faisait. Tout le monde se couvrait. »

A travers le personnage de Milena Ramirovic, l'auteur parle aussi des médias en quête de sensationnel.

La conduite du récit est captivante, nous entraînant également dans les avancées de la recherche scientifique et de la bioremédiation, avec notamment la découverte d'une bactérie oléophage naturellement présente dans l'eau qui dégrade le pétrole en le transformant en composés non polluants.

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Sans être moraliste, POLMAR est un thriller écologique engagé, captivant, dense et très bien documenté. Moi qui aime l'océan, ce roman m'a fait mal au coeur.
Je vous le conseille.

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Pour finir je remercie Netgalley, les éditions Librinova et Patchenko pour son immense travail de recherche et son engagement sincère.
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