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Critique de Arakasi


Nabulion, Napolione, Napulion… Quel drôle de prénom il a, ce petit officier corse que l'on peut voir arpentant les couloirs du Luxembourg et vociférant pour qu'on lui confie un commandement d'artillerie ! Et il ne paie pas de mine avec ça ! Mal habillé, maigre comme un clou, le regard brûlant et fiévreux, la voix sèche et un accent si épouvantable qu'il en est parfois incompréhensible. Si encore il savait garder profil bas… Mais non, il faut qu'il se fasse remarquer, qu'il critique haut et fort ce gouvernement calamiteux qui ne sait pas employer correctement ses talents, qu'il agite sous le nez de qui veut bien l'écouter son plan d'invasion de l'Italie. Il la veut, cette invasion ? Eh bien, il l'aura ! le voici à la tête de la très miteuse et bien mal entrainée armée d'Italie avec ordre de bouter hors des frontières une armée autrichienne supérieure en nombre et en armement.

Et là, le miracle se produit. Les miracles plutôt car le petit corse ne se contente de remporter une ou deux batailles, il vole littéralement d'un champ de bataille à un autre, accumulant les victoires à une vitesse vertigineuse. Très rapidement, sa renommée fait le tour de la France, peu habituée à un tel étalage de succès, et le nom de Napolione Buenaparte semble beaucoup moins ridicule aux oreilles patriotes. D'autant plus qu'il l'a fait franciser et se nomme maintenant Napoléon Bonaparte. Dans les rues de Paris, dans celles de Lyon, de Toulouse, de Nantes, de Marseille, la foule scande le nom de Bonaparte, des pièces de théâtre sont écrites en son honneur, on parle déjà de lui élever des statues. Et dans les couloirs du Luxembourg, les membres du Directoire commencent à suer à grosses gouttes car tous le savent à présent, du plus petit commis au plus puissant ministre : ce petit corse ira loin, très loin, bien plus loin que quiconque – philosophe, politicien, général… – pourrait jamais le prédire.

Et une nouvelle biographie de Bonaparte, une ! « Encore ? » me direz-vous et vous n'aurez pas tout à fait tort, car aucune personnalité française n'a accumulé autant de biographies que le petit général corse. Abondance de biographies signifie bien sûr abondance de points de vue et le décryptage de la vie de Bonaparte a été l'occasion de multiples prises de bec entre historiens plus ou moins renommés. Napoléon, c'est simple : on l'aime ou on le déteste. Pas ou presque pas de juste milieu. Dur, dur chemin que celui de l'amateur d'Histoire à la recherche d'une oeuvre tant soit peu objective (et pas trop assommante non plus, si possible) et je ne remercierai jamais assez mon cher bibliothécaire personnel de m'avoir sorti de sa boite magique cette excellente biographie de Patrice Gueniffey.

Celle-ci débute très bien avec une fascinante réflexion sur le travail du biographe, sur ses limites et ses difficultés, surtout quand il s'applique à une personnalité aussi controversée que celle de Napoléon Bonaparte. Loin de mener son livre tambour battant – particularité qui semble nécessaire à certains historiens pour parler de Bonaparte – Gueniffey sait prendre son temps, s'attarder sur les périodes de doute, de passage à vide qui jalonnent la vie certes trépidante du général corse. Comme il le dit lui-même, un romancier peut se permettre d'adapter son rythme à celui de son sujet, alors que la biographie est un travail de haute précision qui demande de la concentration et le sens du détail. La force de Guennifey est d'allier ce sens du détail à une grande capacité de synthétisation et d'analyse. Pas à pas, chapitre après chapitre, il parvient à nous guider dans cet énorme et sublime foutoir que fut la France post-révolutionnaire.

L'aventure fut passionnante, mais un peu épuisante, car le nombre d'informations à enregistrer est colossal et il m'est arrivée de perdre parfois pied. J'en ressors fatigué mais ravie, avec le sentiment d'en savoir un peu plus sur ce curieux grand homme que fut Napoléon – car « grand » il le fut assurément, quelle que soit la façon dont on peint le personnage : grand politicien, grand propagandiste, grand général, grand escroc, grand stratège… le premier tome de cette biographie l'abandonne au faîte de sa gloire : Premier consul d'une France sur laquelle il règne en maître absolu, bien plus puissant que ne le furent jamais les Bourbons. Jamais il ne sera aussi brillant, jamais ses extraordinaires capacités ne seront aussi bien et sainement utilisées. A partir de ce moment, il ne pourra que déchoir et glisser lentement des fastes du mythe doré vers les profondeurs de la légende noire. Mais ceci est une autre histoire et attendra la sortie du deuxième opus de Guennifey qui devrait sortir… ben, à la Saint-Glinglin, vu le temps qu'il lui a fallu pour pondre ce premier tome !
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