Les bibliothèques dans la chaîne du livre

Dans ce contexte, écrire et gagner sa vie relèvent de logiques hétérogènes.
(...)
C'est pourquoi tout auteur - à moins d'être un rentier, cas fréquent au XIX° siècle mais devenu très exceptionnel - ne gérer cette situation que par des compromis, plus ou moins vivables, plus ou moins honorables, plus ou moins satisfaisants, impliquant toujours un sacrifice :
- sacrifice de l'œuvre, pour le "romancier à succès" qui se conforme aux goûts du grand public pour s'assurer une rentabilité immédiate
- sacrifice de la personne, pour le "poète maudit" qui se résigne à vivre dans la misère pour se consacrer entièrement à son art, sans concession aucune
- sacrifice de l'indépendance, pour l'"écrivain patenté" qui vit de bourses et de subventions diverses, préférant dépendre des commissions d'État pour moins risquer de compromettre son art et moins payer de sa personne
- sacrifice de la pureté, pour "l'homme de lettres" qui consacre une grande part de son temps à exercer des positions de pouvoir dans le monde littéraire (directeur de collection, critique)
- et enfin, sacrifice du temps, pour celui qui exerce un "second métier" - souvent celui d'enseignant - afin de pouvoir mener de front une vie sociale et familiale à peu près normale, et une activité de création qui cependant, dans son emploi du temps, sera forcément réduite à la portion congrue.

Au-delà de l'offre de collections, la bibliothèque et, a fortiori, la médiathèque, offrent un cadre collectif de consultation, de divertissement ou de travail qui occupe une place importante dans les pratiques et les représentations des usagers. On peut qualifier cette institution culturelle de "lieu anthropologique" sachant qu'elle est à la fois un lieu de mémoire et un lieu de vie (= capacité à conjuguer identité et relation). Les bibliothèques sont en effet de véritables matrices de socialisation ou de re-socialisation - ce qui est loin d'être anodin si l'on accorde de l'importance à la "question sociale" -, puisqu'elles permettent aux personnes qui les fréquentent avec une certaine régularité de se construire (se divertir, s'instruire, se former, s'essayer à...) autant que de se maintenir à flot ou de se reconstruire (éviter isolement et solitude, emprunter une identité de chercheur ou d'écrivain au cours de ses séjours répétés...)