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Critique de CDemassieux


Charles Péguy observa toujours – notamment à travers les Cahiers de la Quinzaine dont fait partie le présent texte –, avec une acuité particulière la politique de son temps. Il avait aussi le sens de la formule et de l'exactitude. Ainsi cette phrase qui prend tout son sens dans la Cinquième République tandis que l'auteur vivait sous la Troisième : « Il est aujourd'hui démontré qu'un homme peut impunément exercer un césarisme impitoyable dans la République. » Plus loin, il écrit : « Combien il est aisé d'établir une autocratie en France, pourvu que l'on respecte certaines formes, quitte à ne respecter aucune réalité, aucune liberté. »

Mais il faut d'abord situer le texte pour bien comprendre. Il est publié pour la première fois en octobre 1905. Cela fait alors une poignée d'années que, sous la présidence du Conseil – à peu près l'équivalent du poste de Premier ministre mais avec plus de pouvoirs, ce qui pouvait occasionner des frictions avec le Président de la République – Waldeck-Rousseau, Alfred Dreyfus a été gracié mais non reconnu innocent. Il faudra attendre l'année 1906 pour qu'il soit réhabilité. 1905 c'est aussi l'année de la loi de séparation de l'Église et de l'État, promulguée en décembre et initiée par l'anticléricalisme acharné d'Émile Combes, ancien Président du Conseil qui démissionne avant la promulgation de ladite loi. Voici pour le décor.

Si Péguy est un homme de son temps, il sait aussi voir par-delà les frontières de ce temps et laisser sa plume divaguer à l'évocation d'un défilé parisien en l'honneur d'une visite royale : « Singulier peuple de Paris, peuple de rois, peuple roi […] vraiment le seul qui ait fait des révolutions et qui soit resté non pas seulement traditionnel, mais traditionnaliste à ce point ; le seul qui soit traditionnaliste en plein consentement de bonne volonté ; le seul qui soit à l'aise et qui sache se présenter dans l'histoire. »
Suivent des pages pétries de rêveries parisiennes, sans doute quelques-unes des plus belles en la matière : « Paris, ville de pierre, peuple de monuments, peuple de mémoires, peuple d'anciennes actions, Paris, capitale du monde, ville capitale »…

Avec Paris, surgit Hugo qui, au moment où Péguy écrit, est mort il y a vingt ans, en 1885. Hugo dont les vers « chasseront, brutes impériales, insoutenables régiments, tous les autres vers de tous les autres poètes, et vous forceront à marcher au pas, du même pas, de leur pas. » C'est quelque chose de savoir écrire sur Hugo comme cela…

De fil en aiguille, doutant ouvertement du pacifisme d'Hugo – ce que l'on peut comprendre à la lecture de certains vers à la gloire de l'empereur Napoléon 1er – , Péguy glisse vers les militaire et la guerre, pointant le paradoxe populaire français à ce sujet, en ces temps de mode pacifiste : « En même temps le peuple veut rêver de guerres ; il se délecte autant que jamais aux narrations des guerres passées ; il aime autant que jamais les guerres, pourvu qu'elles soient faites par d'autres, par d'autres peuples. »

Puis, d'Hugo à Napoléon, l'on en vient au fait brûlant, dont Péguy ne pouvait alors prédire l'ampleur à venir : « Tout le monde en même temps connut que la menace d'une invasion allemande est présente, qu'elle était là, que l'imminence était réelle. »

Neuf plus tard, le fait brûlant se traduira ainsi pour l'auteur : le 5 septembre 1914, Charles Péguy comptera parmi les premières victimes de la guerre…


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