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Critique de Pitchval


Dan perd son épouse dans un tragique accident. Alice, chanteuse célèbre et aguichante sur scène mais frustrante dans l'intimité, limite frigide, l'ayant toujours plus ou moins rabroué dans ses désirs durant toutes leurs années de mariage. Il n'a pas réellement de chagrin à la manière habituelle d'un veuf et se met rapidement en couple avec Camille, une fan d'Alice travaillant pour le label qu'il codirige. Ensemble, ils vivent leur sexualité dans en une sorte de trio, ne pouvant s'empêcher de faire revivre Alice en pensée et en fantasmes pour mieux s'exciter l'un l'autre et mieux jouir. Alice est morte, on peut lui faire dire et faire tout ce qu'on veut. À présent froide, elle n'a jamais été aussi chaude et provocante, du moins dans leur imagination et dans leurs délires sexuels.
Seulement, cela ne suffit pas Dan, homme peut-être pas plus obsédé qu'un autre mais plus à l'écoute de ses envies, homme sans limites, affranchi de morale en ce qui concerne ses besoins de corps et ses envies de tête. Alors, il va retrouver un travesti transformiste dans un cabaret, lequel « joue » déjà feu Alice dans son spectacle, et lui fait une demande aussi folle qu'onereuse : qu'elle soit le sosie d'Alice pendant trois jours et qu'elle réalise tous les fantasmes qu'il avait imaginés avec son épouse du temps où elle était en vie. le tarif ? Une voiture de sport. N'importe l'argent, Dan veut jouir, et pas avec n'importe quelle femme. Il veut une revanche, il veut sa femme. Ou tout comme.
Alice bis, si elle ressemble à Alice à s'y méprendre et jusqu'au trouble, s'avère évidemment être l'opposé de l'épouse qui le rejetait au lit. Chaude, vicieuse, perverse et obéissante, elle exauce Dan dans tous ses vices durant trois nuits inoubliables, sortes d'orgies issues de fantasmes délirants.
Trois nuits, pas une de plus. le temps d'être tour à tour dominant et dominé, de pratiquer l'exhibitionnisme, le candaulisme - s'imaginant évidemment la vraie Alice être prise par un autre dans un club libertin-, d'être sodomisé par cette Alice qui a un penis. Trois nuits délirantes durant lesquelles il ne debande jamais.
Et puis le terrible retour à la réalité, brutale, cruelle. le mariage avec Camille, l'installation dans leur nouvelle maison, sa grossesse, son refus d'invoquer à nouveau Alice dans leurs fantasmes. Comment retrouver une sexualité classique, rangée, bien propre quand on a auparavant franchi toutes les limites ?
Si, évidemment, les scènes de sexe prennent une place prédominante dans ce récit ( collection « les nouveaux interdits »), ce roman transgresse encore plus par son message que par des scènes plus qu'explicites : il pervertit et travestit l'amour au sens où le commun l'entend. Dan n'est pas attristé par la mort de sa femme. Il ne l'évoque jamais avec chagrin, n'est pas accablé de ne jamais la revoir. Non : il regrette seulement qu'elle ait été si peu sensuelle, voilà. Sa mort brutale l'a frustré, en ce qu'il n'a jamais vraiment pu s'adonner au sexe avec elle. Cela me parait une plus belle et audacieuse transgression que l'étalage de tous les fantasmes réalisés par la suite avec Alice bis. C'est une violation de la norme, du deuil d'un être cher, de cette convention de chagrin du veuf. À la place, il lui trouve un sosie, non pour s'émouvoir mais pour s'assouvir, pour se defrustrer de cette vie conjugale qui le laissait sans cesse inassouvi.
Dan est un homme libre, libéré par la mort de l'épouse, laquelle le tenait dans une vie maritale bien rangée en perpétuel homme frustré. Et voilà qu'elle meurt et qu'il peut soudain baiser autant qu'il veut, aller au bout de tous les délires qu'il avaient imaginés, jouir de toutes les situations qu'il met en scène. Et avec elle, de surcroît. Profanateur suprême, qui baise le travesti sur la tombe d'Alice, scène symbolique s'il en est, mais c'est peut-être un peu trop : qui jouirait vraiment d'une telle situation ?
Alice est morte mais était déjà froide depuis longtemps. Depuis toujours, presque. Belle, au corps évocateur, elle avait séduit Dan parce que son corps, ses postures sur scène, alimentaient ses fantasmes. Seulement ça.
Néanmoins, Alice est là. Elle est présente entre Camille et Dan, entre Alice bis et Dan, dans la tête de Dan constamment. Cette femme arrogante et frustrante s'impose encore, même morte. le veuf qui baise partout ne peut cependant pas s'empêcher de la vouloir, de la désirer, de la rechercher dans ses partenaires. Elle le hante. Comme une revanche : il l'a enfin, et elle le fait jouir comme jamais de son vivant.
Autre thème abordé : le candaulisme, ou ce fantasme répandu de voir sa partenaire coucher avec un autre, et tout son paradoxe. Cette jalousie saisissante, piquante, voire fascinante, mêlée à une curiosité irrésistible puis à l'excitation suprême, le tout décrit avec une belle justesse psychologique.
Pour le reste, une écriture simple, assez dénuée de style audacieux. Évidemment, l'intrépidité se trouve dans les mots crus, dans les scènes salaces, dans les situations extrêmes, mais cela aurait mérité sans doute un peu plus de forme. On sent comme le fond prime, comme les messages doivent être délivrés dans une certaine urgence d'écriture. Si c'est souvent le cas dans les récits purement érotiques voire phonographiques, où l'on s'interroge même sur la nécessité d'un contexte tant il n'est là que pour faire transition entre deux scènes crues, ce roman, plus profond, aurait sans doute mérité une forme plus riche.
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