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Critique de Dandine


J'avais poste a l'epoque un billet sur ce livre et je me souviens l'avoir traite de magistral. Je recidive après une relecture et je suppose que je vais me repeter, parce que, oui, il reste pour moi magistral.


Un roman qui se deguise en recueil de nouvelles ou chaque nouvelle se suffit a elle-meme, et ce n'est que quand on est bien avance dans la lecture qu'on s'apercoit qu'elles forment un tout coherent, que ce sont les pieces eparses d'un puzzle, ou l'auteur melange pieces reelles et pieces fantastiques. En plus, l'ironie est presente partout dans les marges (j'ai trouve ca tres Europe Centrale), et pour compliquer le puzzle il y a un jeu constant entre diverses versions de la meme histoire. le tout formule de facon captivante, sans points morts, en un style dynamique a souhait: magistral!


Perutz nous transporte a Prague, au debut du 17e siècle. A la cour de l'excentrique empereur Rodolphe II, ce passionne d'art et de sciences qui delaissait la politique (et la politique lui rendait cela au centuple). Dans son entourage nous croiserons le grand astronome Kepler, le belliqueux condottiere Wallenstein, qui s'illustra pendant la guerre de trente ans, et beaucoup d'autres personnages qui furent un temps reels. Mais Perutz nous promene aussi dans les ruelles du quartier juif, dominees par la mythique figure du rabbin Loew (celui qui aurait cree le golem, donnant vie a une poupee d'argile). Dans ces differents decors d'une meme realite, dans ce theatre, il met en scene des amours interdits, entre l'empereur Boheme et la belle Esther, epouse du financier juif Mordechai Meisl, qui ne peuvent se realiser qu'en reve, mais n'ont pas moins pour cela des consequences fatales pour toute la ville. Un reve cree par le kabbaliste Loew, et sitot reprouve par Dieu. Mais Dieu est a Prague, et Prague est une ville de reve…


Chaque nouvelle (chaque chapitre) est une histoire racontee au narrateur (quand il etait gosse) par son precepteur, Jakob Meisl, un etudiant en medicine fauche, qui, comme son nom l'indique, descend du financier. Des contes ou s'entrelacent des personnages et des faits historiques avec de vieilles legendes juives. Des contes par lesquels il entend temoigner d'une Histoire plus vraie que L Histoire des livres de classe, ou le cote magique, fantastique, rend mieux compte de la realite humaine. Parce que pour lui la litterature, orale ou ecrite, aide mieux que L Histoire savante a comprendre le passe, a se l'assimiler. (Memoire contre Histoire, un vieux dilemme juif, que Yosef Hayim Yerushalmi avait brillamment eclaire dans "Zakhor").


C'est vers la fin de sa vie que Perutz se tourne vers ces legendes. Juif ne a Prague, qui a etudie et vecu a Vienne jusqu'en 1938, quand il est force de s'exiler en Palestine, il a deja ecrit nombre de romans fantastiques qui ont eu un relatif succes a l'epoque. Non acclimate, ignore dans cette Palestine qui deviendra l'etat d'Israel, il cesse de publier sinon d'ecrire jusque dans les annees 50. En fait il avait ebauche un premier chapitre de ce livre des les annees 20, qu'il avait titre "La peste a Prague", mais l'avait laisse murir jusqu'en 1953, date de la sortie de la nuit sous le pont de pierre. C'est l'epoque ou il voyage beaucoup en Autriche, pour skier, pour retrouver sa langue natale, pour respirer un air qui lui est cher, malgre ce que cette Autriche lui a fait subir par le passé. Et c'est dans un de ces voyages qu'il mourra, a Bad Ischl, en 1957. Ironie du sort? Voeu (non exprime) exauce?


La nuit sous le pont de pierre, son dernier opus, est un opus magnum. Je me rappelle que je lui avais octroye cinq etoiles, bien qu'alors j'en etais tres radin. Aujourd'hui cela va de soi. Je l'avais emporte avec moi dans mon ile deserte; il pourra continuer a me tenir compagnie dans ma solitude.
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