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Critique de beatriceferon


Leftéris vit seul dans un appartement de Thessalonique. Un soir, alors qu'il est en train de préparer son repas, le téléphone sonne. C'est son patron. C'est urgent. Il doit venir immédiatement aux pompes funèbres Léonidas. Car Leftéris est croque-mort. Il va devoir veiller le corps d'un vieil homme qu'on n'a découvert qu'un mois après son trépas. Sa fille habite loin. Il faut qu'on la trouve avant de pouvoir organiser l'enterrement.
Sur la couverture, un visage en gros plan. Celui d'un homme qui ressemble un peu à Victor Hugo. Ses joues et son menton sont recouverts d'une barbe blanche. La moustache taillée en arc de cercle, les yeux chassieux lui donnent un air triste. C'est ce qui frappe au premier abord. Cet homme exerce un métier dont on ne parle pas souvent, ni dans la littérature, ni même dans la vie : croque-mort. Alexis, le neveu du patron dit : « Avant, je pensais que les croque-morts étaient des gens bizarres (…) Tout le monde regarde mon oncle de travers dans la famille. Moi, je ne pourrais pas faire ce métier-là toute ma vie. » Et pourtant, comme il le fait remarquer un peu plus loin, « C'est pas contagieux, la mort. »
L'histoire est simple et courte (47 planches). Elle mêle réalisme et fantastique, bien qu'on ne sache pas vraiment si le mystérieux épisode vécu par Leftéris lors de sa nuit de veille est réel ou s'il s'est endormi malgré lui et l'a rêvé.
Il y a assez peu de dialogues, la majeure partie du récit est muette. Lors du passage irréel, les paroles du vieil homme s'inscrivent en capitales blanches qui ressortent sur le fond, alors que les mots prononcés par le héros sont emprisonnés dans un phylactère. Deux mondes s'opposent.
Bon nombre de vignettes présentent des gros plans sur les visages des protagonistes. En fin de volume, un dossier de cinq pages nous fait découvrir le travail du dessinateur. Il nous ouvre son carnet de croquis où il nous dévoile les essais réalisés pour capter chaque caractère.
Il précise qu'un ami l'a aidé en parcourant l'agglomération de Thessalonique afin de lui apporter des clichés originaux lui permettant de camper les décors.
Nous allons vivre principalement les deux nuits de la veillée. Les fonds sont uniformes : ocre ou bleutés. Soudain, une page entière est recouverte par un dessin qui plonge le lecteur dans une sensation de solitude frappante : à l'avant-plan, un cercueil, au milieu, dans une sorte de petite guérite, Leftéris, la cravate desserrée. Tout autour, rien que des arbres.
Le passage onirique se décline dans une dominante de vert et de rouge. A la fin de cette expérience, un immense paysage couvre les deux pages. le ciel commence à s'éclaircir. Tous les immeubles sont envahis de petits points lumineux : partout, les habitants se réveillent. Ils allument la lumière. Et bien loin d'eux, de leur agitation, de leur quotidien, Leftéris n'est qu'une silhouette sombre, de dos, perdue dans sa réflexion. L'objet de celle-ci, le cercueil, est vivement éclairé par un unique lampadaire. L'impression qui se dégage est à la fois grandiose et poignante.
Leftéris est touchant. On le sent triste, désemparé, délaissé. On le suit dans sa routine : courses à la supérette, quelques mots échangés avec le vieux gérant impotent, préparation maniaque du repas. Il compte un à un les petits pois (ou les lentilles) qu'il s'apprête à cuire. Une conversation téléphonique avec sa femme et sa fille qui vivent apparemment loin de lui, serre le coeur. Finira-t-il comme le « client » qu'il doit veiller ? Tellement abandonné qu'on ne découvre son cadavre qu'un mois après le décès ?
J'ai beaucoup aimé cette bande dessinée qui m'a pourtant laissé un sentiment de tristesse et d'amertume.
Je remercie chaleureusement l'opération Masse critique et les éditions Steinkis qui me l'ont offerte.
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