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Critique de Atarah


« Et il m'a dit de sortir dans le vent et d'aller de maison en maison en demandant s'il était là. »
Dans ce poème qui s'intitule La parole du désir, la poétesse se réfère de manière implicite au Cantique des cantiques. On comprendra peut-être mieux après cet exemple que, dans leur souci de distinguer un régime de signes signifiant (centré sur un signifiant-maître comme sur un personnage éminent) à un régime de signes post-signifiant (acentré ou erratique), Deleuze et Guattari puissent opposer le « Pharaon paranoïaque » à l' « Hébreu passionnel » (sans essentialiser les peuples, je le précise). Et d'ajouter : « La visagéité subit une profonde transformation. le dieu détourne son visage, que personne ne doit voir ; mais inversement le sujet détourne le sien, saisi d'une véritable peur de dieu. Les visages qui se détournent, et se mettent de profil, remplacent le visage irradiant vu de face. C'est dans ce double détournement que se trace la ligne de fuite positive. »

« Positive » est le mot clé, car il ne s'agit pas seulement de s'échapper, encore faut-il faire de l'exode un mode d'être positif. de même qu'écrire ne doit pas être uniquement la conséquence ou l'expression d'un mal-être ou d'une peur mais l'affirmation d'une nouvelle manière d'être au monde. Ce qui n'empêche pas Alejandra Pizarnik de dire qu'elle cherche à se cacher dans le poème et d'écrire :

« Ses yeux étaient l'entrée du temple, pour moi, qui suis une errante, qui aime et qui meurs. Et j'aurais chanté jusqu'à me faire une avec la nuit, jusqu'à me défaire nue à l'entrée du temps. »

Mais le visage ne cesse de se dérober, de se détourner, et l'arrivée, le but, ne cesse d'être différés. le sentiment de trahison n'est pas absent de ce cheminement sans cesse interrompu et repris, de ce rendez-vous sans cessé ajourné ou source de déception. le langage, surinvesti, devient le lieu de toute chose, le lieu même du possible. Les mots marchent, dansent, combattent jusqu'à saigner. Ils sont comme des couteaux dont les mouvements rapides forment une danse meurtrière, un rite sacrificiel où la vie s'échange contre la mort et réciproquement.

« (Il faut connaître ce lieu de métamorphoses pour comprendre pourquoi je me fais souffrir d'une manière aussi compliquée.) »

Que dire de l'écriture quand elle aborde des rivages aussi inquiétants ? Elle devient un refuge, une fuite, un remède et un poison. La poésie devient une drogue, l'amour rêvé un philtre qui déforme la vue. Tout paraît vrai et faux à la fois. Franchi un certain seuil, tout est fallacieux, tout est duperie, mensonge. Les amis sont lointains, on est à soi-même une fiction boiteuse ou quelque chose d'approchant. Ne cherchons pas pour autant à deviner le visage de la poétesse derrière ses mots. Laissons le drame personnel pour suivre la voie de l'écriture qui invite à se projeter dans l'espace du rêve ou de la vision qui cherchent à prendre corps. Alejandra Pizarnik n'est plus une jeune femme blessée surmontant de plus en plus difficilement les obstacles qui se dressent devant elle. Elle est la louve bleue qui sourit à ses amies, la poupée qui s'éveille aux côtés de la mort et qu'une fillette prend dans ses bras, ou bien encore une équilibriste naine avançant sur un fil les yeux fermés. Mais silence. Il ne faut plus parler, il ne faut plus rien dire. Il ne faut pas se taire non plus. Alors ? Il ne sert à rien d'essayer de comprendre, tout est si clair. À un moment donné l'existence ne tient plus qu'à un fil, et ce fil est un orage, une averse :

« J'écoute le bruit de l'eau qui tombe dans mon sommeil. Les mots tombent comme l'eau moi je tombe. Je dessine dans mes yeux la forme de mes yeux, je nage dans mes eaux, je me dis mes silences. Toute la nuit j'attends que mon langage parvienne à me configurer. Et je pense au vent qui vient à moi, qui demeure en moi. Toute la nuit, j'ai marché sous la pluie inconnue. On m'a donné un silence plein de formes et de visions (dis-tu). Et tu cours désolée comme l'unique oiseau dans le vent. »
Pascal Gibourg
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