Trouver un job d'été est le lot de nombre d'étudiants pour financer qui ses études, qui son quotidien, qui ses loisirs, ou ses vacances. S'il y en a qui, comme ce fut mon cas, choisissent de mettre à profit leur BAFA en peuplant les journées de petites têtes blondes de chasses au trésor, de scoubidous, de veillées et d'olympiades échevelées, d'autres, comme Elliot, dénichent un job auprès de têtes plus grises que blondes pour qui la notion d'olympiades consiste à se rendre sans encombre à la salle de restauration de l'Ehpad.
Narrateur du « témoignage romancé » que
Franzo Pizarro a livré aux lecteurs il y a quelques jours, Elliot est, autant le dire, la doublure papier de son auteur. A ses 18 ans et pendant 5 ans, Elliot, alors étudiant en première année de BEP compta secrétariat va travailler aux Jasmins, l'Ehpad dirigé par Madame Delcourt. Autant dire que le garçon n'a aucune qualification pour le premier poste qu'il va occuper, mais sa bonne volonté et sa motivation font l'affaire et le voilà préposé à la distribution des bouteilles d'eau aux pensionnaires, dans le souvenir douloureux de la canicule de l'été précédent, en 2004. L'expérience est concluante pour la directrice, Elliot se voit donc proposer de bosser à l'Ehpad pendant les week-ends et petites vacances. Ainsi, pendant 5 ans, le jeune homme va en voir des (plus très) vertes et des (bien bien) mûrs, et goûter à un nouveau poste chaque année, accumulant les souvenirs heureux, les rencontres émouvantes, les galères redoutables, et les gouttes d'eau qui viendront remplir le vase d'une colère chauffée à blanc par des situations révoltantes.
Entamée bien avant les scandales liés aux Ehpad, l'écriture de ce témoignage ne se révèle être ni un pamphlet, ni un plaidoyer. La démarche semble être à l'image de la plume : modeste, sans emphase. Pizarro nous sert un témoignage qui transpire la sincérité, la naïveté et l'emportement des notes prises par un tout jeune adulte qui découvre un monde du travail entièrement tourné vers l'humain avec ce que ça implique de beau et de laid. Pour un premier ouvrage,
Franzo Pizarro s'en sort honorablement, sa plume est claire, fluide, ni trop ampoulée, ni trop minimaliste, l'auteur a su trouver le ton qui convenait au témoignage émanant d'un jeune de vingt ans.
Mais il y a un petit mais… L'autobiographie et moi, ça fait deux. Quand l'exercice tourne au panégyrique, voire à l'hagiographie où surabondent des « moi-je » ad nauseam, je capitule. Et là, je n'ai pas capitulé. Au contraire, je me suis laissé mener par le récit. Certes, il n'échappe pas au jeu du « je » exemplaire, voire d'un côté parfois Miss France-être-méchant-c'est-pas-gentil-la-guerre-c'est-mal (et parfois, ça peut me hérisser la pupille) mais il contourne l'obstacle de la gloriole qui pourrait faire du narrateur une sorte de Zorro de la cause gériatrique. Pizarro ne tombe dans le piège de la généralisation. Son sujet, c'est l'humain et seulement l'humain avec ses forces, ses faiblesses, ses sourires, ses humeurs, ses motivations, ses abattements, ses tolérances, ses lâchetés et ses oeillères… autant de défauts et de qualités qui habitent des personnages secondaires, du personnel aux pensionnaires, dessinés avec réalisme et une certaine tendresse teintée de nostalgie. Alors oui, j'ai pu avoir envie de demander à Elliot un peu plus de niaque et un peu moins de béni-oui-oui, mais il n'en demeurait pas moins attachant, cet Elliot, j'aurais d'ailleurs aimé le connaître davantage, découvrir une intimité soigneusement dissimulée derrière les projos braqués sur le boulot. Finalement, il aura démontré que « la gentillesse n'est pas une faiblesse » et qu'un caractère accommodant a aussi des limites qui une fois franchie peuvent révéler le lièvre sauvage que cachait le petit lapin tout doux.