Je ne me sentais guère père. A son crédit, elle se sentait mère. Je la trouvais déprimée, tendue, revêche, à cran. Elle me jugeait défaillant, idiot, geignard, égoïste. Amant flottant, maîtresse allaitante. Je dormais de plus en plus souvent dans le canapé du salon.
J’étais une victime et valait mieux pas que je m’en vante. Mes parents n’avaient pas de tendresse particulière pour cette catégorie de la population.
Je n’avais pas de soucis sérieux jusqu’à ce jour-là. Quelques incompréhensions, des trucs de gosse mal dans sa peau, avec des parents qui habitaient la leur de manière bizarre.
Ce monde qui m’avait accueilli avec pas mal de difficultés et beaucoup de remarques, ce monde qui n’était que la norme à laquelle il ne faisait pas bon déroger.
La nature est rancunière dans les parages.
Mon cerveau devenait opérationnel. Ce qui n’était peut-être qu’une impression car, au cours de l’été, je n’avais eu que ceux de mes parents pour comparer.
LES ARBRES aux angles improbables. Leurs racines souffreteuses. Les troncs ravinés par l'acide ne m'avaient pas manqué. Les fougères, les ronces, les noisetiers aux couleurs de l'automne éternel. Pas davantage. Des corneilles se battent au-dessus de moi. Mes pieds subissent la succion à chaque pas. C'est vert et brun et noir. Gris également, si on y intègre le nuage triste qui nous surplombe par-delà les frondaisons.
La nature est rancunière dans les parages. Cette forêt s'étend sur plusieurs milliers d'hectares, et ce que j'en vois corresond bien à l'image déprimante que j'en ai gardée.
[incipit]
Souvent les gosses qui ont été les plus durs sont ceux qui sont les plus heureux de nous recroiser lorsque le hasard de la vie nous remet en présence. Quelles qu’aient été les difficultés traversées, ils ne nous en tiennent pas griefs, ils se souviennent seulement que nous avons été là pour eux et, sur ce point, nous ne souffrons d’aucune concurrence car personne d’autre n’a jamais été là pour eux.
Le psychiatre de secteur n’avait rencontré Cindy qu’une fois depuis son arrivée au foyer. Quatre minutes d’entretien, et il avait dû refaire son bureau suite au début d’incendie. De mémoire : « Cindy porte en elle les fulgurances annonciatrices des sombres lendemains qui lui semblent promis. » Ce n’était pas faux tant elle était prompte à passer de la plus complète apathie à la plus complète démence, mais de là à parler de « fulgurances »…
Ces jeunes pratiquaient la maltraitance déconstructive et c’était une facette de notre boulot de maintenir le cap en pratiquant la maltraitance constructive.