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Critique de FDRemy


C'est pas à pas, par petites touches et à travers la mémoire et les ressentis des personnages, qu'Isabelle Pons nous entraîne à découvrir ce qui a conduit vers la mort François et cet autre, dont les restes ont été retrouvés dans un puits désaffecté, ce puits d'ombre au titre évocateur…

S'agit-il bien de François d'ailleurs, compagnon de route d'une bande de jeunes animés d'un idéal communautaires dans les années 70 ? Et qui est l'autre ?

Plutôt que de commenter ce beau texte, je préfère vous y amener en le laissant s'exprimer.

Dans un style très maîtrisé, élégant ou rude selon les personnages, l'auteure nous convoque dans ce qui touche beaucoup d'entre nous, comme ces nuits d'insomnie que je connais bien et qui privent Jean de son sommeil : « Deux heures du matin. Jean ne dormait pas. Comme d'habitude à cette heure-là. La mauvaise. Celle à laquelle on se réveille quand, par chance, le somnifère a fait son effet. Celle, le plus souvent, où, harassé de fatigue, on se tourne et on se retourne dans son lit en sachant que le marchand de sable a fini sa tournée et qu'il n'a pas l'intention de revenir pour les insomniaques dans son genre, ceux que leur âme tourmentée retient dans cette heure sombre de la nuit, si éloignée encore des premières lueurs de l'aube. »

Beaucoup d'entre nous se retrouvent aussi dans ces petites notations, comme en passant, de nos espoirs, de nos attentes… « Que faire maintenant du temps qui lui restait ? Rappeler Alix ? Elle s'en sentait incapable. Se morfondre donc, en regardant toutes les dix minutes son portable au cas où un SMS serait arrivé. En douce. Tel un petit miracle silencieux. »

Quand les personnages nous apparaissent, ils sont là, devant nous, vrais, vivants, suscitant en quelques mots notre intérêt ou notre émotion : « le vieux monsieur s'inclina légèrement devant elle et sortit, à pas lents, aidé de sa canne, dans son beau costume et chaussé de ses souliers vernis, laissant derrière lui un léger parfum d'eau de Cologne. »

Quand Isabelle Pons plante pour nous le décor, nous y sommes, avec elle : « La pièce, assez vaste, peinait à contenir trois immenses canapés, une longue table en bois, ses huit chaises et un lampadaire monstrueux dont l'abat-jour démesuré plongeait sur un fauteuil club, comme la gueule béante d'un tyrannosaure rex sur sa proie. Il faut dire qu'elle était aussi encombrée de piles diverses, bouquins, revues, disques vinyle même, qui colonisaient de grands tapis poussiéreux. ». Moi en tout cas, j'y suis !

L'auteure nous plonge dans toute une époque, avec ses contraintes et ses retenues, ses injonctions, imposées dans les années 60… aujourd'hui encore peut-être ? « Normal finalement que Francine ait préféré la sécurité relative des pantalons… et qu'elle ait cessé de rigoler, bouche ouverte, et de brailler (« C'est pas poli ! ») et de tousser (« C'est sale ! Mets ta main devant ta bouche !»). Interdit de roter et de cracher, c'étaient des trucs de mecs… Quant à ce qui était sous la jupe, le fameux moteur, il se devait d'être parfaitement silencieux et inodore. Rien de pétaradant. Rien d'amusant. »

Et nous sommes également emportés peu avant ces années-là, durant le temps de la guerre, des combats et des camps. Qui ne serait profondément ému par les pages qui nous font traverser la condition des prisonniers travaillant dans les fermes de l'Allemagne nazie, ou torturés, à Auschwitz ou ailleurs, et pendant la débâcle…

Mais Isabelle sait aussi être drôle, nous faire rire, par exemple avec ce « cadeau » envoyé par Jean à un plombier homophobe !

Et puis il y a les amours interdites… L'amour que se portent les personnes du même genre, l'amour que voue un captif de la guerre envers la bienveillante fermière allemande qui l'héberge…

Et, vous l'avez remarqué, comme c'est bien écrit, dans un style qui sait nous faire sourire : « le pognon tout de même, ça vous arrangeait quelqu'un. A vingt ans, Thierry, il peinait à se maintenir dans la catégorie produit déclassé juste avant rebut, et à plus de cinquante, il évoluait, tranquille dans le haut de gamme. »
Ou nous émouvoir : « Francine soupira. Les mots, il aurait fallu les inventer spécialement. Elle ne savait pas. Elle n'avait que les mots des autres et ils avaient déjà beaucoup servi. »

Allez-vous vous pencher, vous aussi, sur ce puits dont les ombres qu'il recèle resurgissent peu à peu du passé ?… « Ça rêve aussi. Et ça frémit. Au fond d'un puits sec. Comme un souffle humide qui monte lentement vers les vieilles étoiles. Vers le trou circulaire éclairé par un reflet de lune. »
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