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Critique de colimasson


A quoi servent les livres, à l'époque des frigos connectés ? La question se pose quotidiennement. Heureusement, les éditions de l'Orma nous adressent une suggestion : les livres peuvent servir à envoyer des lettres. Certes, cette autre activité laisse à son tour songeur le potentiel acheteur de livres qui veille à rentabiliser pleinement son achat. Pourquoi enverrait-il une lettre alors qu'en un texto, l'affaire est réglée ? Pour le romantisme ? Certes, l'odeur sur les enveloppes et les lettres est déjà un succédané de l'odeur de ... Cette pratique peut également dériver en un jeu de fétichisme accumulateur puisque les éditions de l'Orma proposent plusieurs livres-enveloppes : « Conçus pour être expédiés, LES PLIS sont des livres reliés de petit format, recouverts d'une jaquette qui se transforme en une enveloppe. » Très bonne idée. Peu importe le contenu tant que la jaquette s'échange. En troisième de couverture, le mode d'emploi de transformation du livre en enveloppe s'orne de quelques schémas géométriques. Etape 1 : Ouvrir. Etape 2 : Extraire. Etape 3 : Plier et fermer. Etape 4 : Ecrire. Etape 5 : Poster. de petits dessins minuscules sous-plombent les injonctions, au cas où vous seriez plus visuels. Voilà, vous savez désormais comment envoyer une lettre. L'étape 4 reste bien sûr la plus compliquée, car il faut savoir écrire, et savoir quoi écrire. L'étape 5 peut également susciter quelques complications car il faut arriver à rejoindre le bureau de poste avant son heure de fermeture.


La notice de construction nous indique également : « La cohérence des PLIS tient autant à leur forme qu'à leur contenu, qui est lui aussi « postal ». » Diplomatiquement, je comprends que les éditeurs tiennent ici à nous signaler que les PLIS sont des recueils épistolaires, mais sarcastiquement, le « postal » m'évoque aussi le « emballé c'est pesé », peut-être sans que le rapport ne soit très pertinent d'ailleurs. Nous poursuivons : « Les textes de la collection sont un effet une sélection de correspondances, qui offrent un regard inédit, intime et iconoclaste.... etc. ». Pour une sélection, c'est une sélection. Très sélecte, la sélection. Sélection sélectionnée juste avant la réédition de la correspondance en cinq volumes de Proust par les éditions Plon le 3 novembre. Mais voyons un peu. Après l'introduction de 4 pages, puis 2 pages blanches, nous aurons 19 pages de correspondance. Les pages sont de petit format (format enveloppe). Les lettres sélectionnées ne sont pas publiées dans leur intégralité, mais nous y reviendrons une fois la recension terminée. Suivent 4 pages avec des photos et des légendes. Et enfin 26 pages d'autres extraits de livres. Soit 45 pages de sélections en tout.


La publication d'extraits uniquement se justifie par la thématique du livre : « sur le bon usage des mauvaises santés ». L'Orma nous explique son choix : « Vaste continent à explorer, la correspondance de l'écrivain est un pont vital entre sa forteresse intime et la vie extérieure. Oscillant entre conversations mondaines et introspections profondes, ses lettres montrent comment transformer la faiblesse en vocation littéraire et la maladie en ressource de génie ». de deux choses l'une : soit Marcel n'était pas tant malade que ça, qu'il n'ait écrit que deux-trois bricoles sur son état de santé tout au long de sa vie, soit les éditions de l'Orma n'avaient pas réellement envie de faire une recension exhaustive des passages de la correspondance de Marcel traitant de maladie – autrement dit, les collaborateurs de l'Orma n'avaient sans doute pas envie de se taper cinq volumes de correspondance de Proust, ou bien les éditions de l'Orma n'avaient pas suffisamment de papier pour faire un bouquin plus conséquent, surtout si les cinq volumes de la correspondance intégrale seront bientôt réédités.


Voilà pour l'aspect technique. Dans les textes sélectionnés, Proust expose parfois à sa mère le déroulé de ses longues journées consacrées à rester au pieu pendant 12 heures pour éviter toute manifestation corporelle de type asthme et crises d'indigestion – nous pensons alors à son style, nous pensons alors à cette si bonne phrase de Céline (« Proust explique beaucoup pour mon goût : 300 pages pour nous faire comprendre que Totor encule Tatave, c'est trop ») et nous comprenons mieux le lien du corps à l'esprit et à l'âme, la fatigue corporelle et le pointillisme délicat et soporifique du récit proustien.


Adepte du jeûne intermittent, comme nos jeunes youtubeurs du moment (« Je fais un repas par 24 heures (et entre parenthèses je me permets de vous demander si au point de vue ration d'entretien vous trouvez ce repas suffisant pour vingt-quatre heures : deux oeufs à la crème, une aile entière de poulet rôti, trois croissants, un plat de pommes de terre ou frites, du raisin, du café, une bouteille de bière) et pendant l'intervalle des vingt-quatre heures la seule chose que je prends est en me couchant un quart de verre d'eau de Vichy (neuf ou dix heures après mon repas) »), Marcel n'hésite pas parfois à conseiller ses correspondants, aguerri qu'il est à la maladie et aux médecins, et il fabule sur l'intérêt de la maladie mis au bénéfice de la civilisation (« Tout ce que nous connaissons de grand nous vient des nerveux. Ce sont eux et non pas d'autres qui ont fondé les religions et composé les chefs-d'oeuvre »).


Maintenant que le commentaire est plus long que le livre lui-même, je vais m'arrêter. Merci pour la découverte du concept de livre-enveloppe mais la prochaine fois, ce serait bien d'inclure le timbre. Et n'hésitez pas à m'envoyer des lettres, amis beubeuliens, j'aime bien. Merci.
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