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Critique de Ileauxtresors


En 1999, Jean Quatremer cosignait avec Thomas Klau, journaliste allemand, Ces hommes qui ont fait l'euro, une enquête relative au processus de création de la monnaie unique européenne. Vingt ans plus tard, l'euro n'a pas disparu, comme l'avaient prédit de nombreux observateurs, mais il reste au centre de l'attention politique et médiatique suite aux problèmes graves révélés par la crise financière, la crise de la dette et la grande dépression après 2008. Dans ce contexte, Jean Quatremer, qui est resté aux premières loges en tant que correspondant à Bruxelles de Libération, s'est attaché à actualiser l'enquête de 1999 pour nous livrer un récit détaillé de la gestation et des péripéties de l'euro. Une contribution extrêmement bienvenue, à l'heure où l'Union européenne, aux prises avec le Brexit et la montée des défiances et des populismes, semble à la croisée des chemins.

Je me suis plongée avec beaucoup d'intérêt dans cette histoire longue de l'euro. Jean Quatremer parvient à tenir son lecteur en haleine sur plus de 650 pages, en associant un vrai talent de narrateur et une restitution minutieuse et extrêmement bien documentée des acteurs, des enjeux et de la chronologie des négociations, de mai 1968 à aujourd'hui… En tant que chercheuse travaillant sur la politique européenne, j'ai été impressionnée par cette précision : la lecture de Il faut achever l'euro nous informe dans le détail sur les personnes présentes à chaque étape, leur agenda, leur perception du point de vue des autres négociateurs, leurs tractations dans les arènes institutionnelles et plus informelles... Une vraie mine d'informations ! J'aurais évidemment été extrêmement curieuse d'avoir plus d'informations sur les sources mobilisées dans le cadre de cette enquête, en particulier sous la forme d'une liste des entretiens réalisés. Il ne s'agit pas de questionner la qualité du travail de Jean Quatremer, mais les modalités de réalisation d'une enquête dans les coulisses de négociations stratégiques (surtout dans le monde particulièrement secret des banquiers centraux !) seraient intéressantes en soi…

Quoiqu'il en soit, on apprend énormément de choses en lisant cet ouvrage sur les modalités de négociation au niveau européen et la manière dont les compromis sont trouvés. Sont évoqués aussi, très clairement et sans aucun jargon, les dilemmes d'action collective qui pèsent sur les velléités des États membres à mettre en commun leurs monnaies sans certitude quant aux engagements des partenaires. Un grand mérite consiste à éclairer les positions adoptées par chaque pays en les replaçant dans leur contexte domestique et historique. Impossible, en particulier, de saisir l'attachement inébranlable des négociateurs allemands aux critères, somme toute arbitraires, du pacte de stabilité et de croissance (pensons par exemple au fameux Drei Komma Null, la limite de 3% de déficit public), si l'on ne tient pas compte de l'histoire longue de l'Allemagne, mais aussi des pressions exercées par les banquiers centraux, des cercles d'économistes influents, l'opinion publique et les factions minoritaires au sein des grands partis de gouvernement, au premier rangs desquelles la CSU bavaroise... D'autres débats sont plus anecdotiques, mais non moins intéressants, comme ceux qui ont concerné la dénomination de la monnaie commune, que les Allemands refusaient d'appeler ECU dans la mesure où dans leur langue, cela ressemblait trop à Die Kuh (la vache !).

Cette histoire longue éclaire le caractère « inachevé » de la monnaie commune, seule exemple de monnaie « sans État », puisque le seul compromis possible consistait à maintenir le gouvernement économique au niveau national des États membres.

Si j'ai pu être décontenancée (déformation professionnelle !) par une tonalité parfois provocatrice, normative ou ironique à laquelle je ne suis pas habituée dans mes lectures quotidiennes, j'ai sincèrement apprécié la prise de position très claire de Jean Quatremer. Puisque le titre volontairement ambigu masque un appel urgent à parachever, plutôt qu'à laisser s'achever l'union monétaire. En assumant d'institutionnaliser des formes de solidarité et un gouvernement économique adossé à un véritable budget et plus de démocratie au sein de la zone euro.

Seul regret : il me semble qu'il aurait été utile de revenir, même brièvement, sur les enjeux et les principaux mécanismes de la politique monétaire. La lecture et la compréhension de ce qui se joue lors des multiples négociations évoquées dans ce livre seront sans doute ardues pour ceux qui n'en seraient pas familiers.

Un grand merci aux éditions Calmann Levy pour l'envoi de ce livre dans le cadre d'une opération Masse Critique !
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