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Critique de Woland


Woland
06 septembre 2017
Etoiles Notabénistes ; ******

Heart No Kuni No Alice
Traduction : Fédoua Lamodière
Adaptation graphique : Clair Obscur

ISBN : 9782355921988

Ce tome III souligne la délicatesse avec laquelle un bon scénariste de manga parvient à dissimuler dans l'une des séries qu'il traite tout un flot d'allusions sexuelles - y compris lorsqu'elles frôlent le glauque. Cette manière de faire est surtout sensible dans le shôjo, destiné à un public d'adolescentes ou de pré-adolescentes. Si le dessinateur sait se montrer à la hauteur, ce qui est le cas ici, l'ensemble atteint alors par moment des sommets d'une grâce incomparable. Cela dépasse le phénomène de la simple "drague", fonds de commerce naturel du genre : cela devient de l'Art à l'état pur.

Nous avions laissé Alice décidée à regagner la Tour de l'Horloger puisque la Nuit était là. Elle y parvient sans trop de peine et l'accueil que lui réserve Julius nous fait clairement comprendre que, malgré ses airs posés et réfléchis, malgré sa réserve, le fait de voir Alice en tenue de nuit, en train de lui concocter un énième café (pour lequel il lui accorde 81 points sur 100 de réussite) ne lui est plus indifférent.

Un par contre qui se pose de plus en plus de questions sur les sentiments d'Alice à son égard, c'est Peter qui croyait bien, en trichant avec la complicité de Nightmare pour amener la jeune fille à Wonderland, qu'elle tomberait immédiatement sous son charme. Or, comme il l'explique à un Nightmare d'abord très sarcastique, c'est tout le contraire qui semble se passer. Finalement, le démon des Cauchemars lui donne un conseil d'une profonde sagesse : "Pourquoi ne pas inverser la tendance ?" Et il tente de faire comprendre à Peter que les débordements d'affection quasi hystériques dont il accable la jeune fille agacent prodigieusement celle-ci. du coup, le Lapin Blanc décide carrément d'aborder la question avec la principale intéressée. Et il en arrive à lui proposer de se changer en lapin blanc genre pelucheux toutes les fois qu'il aura envie d'un câlin. En effet, sous sa forme de peluche, même animée, Alice trouve Peter irrésistible. Elle accepte même, lorsqu'elle est invitée chez Vivaldi, qui l'a réclamée très tendrement pour lui faire partager son grand secret (ses appartements sont bourrés de peluches), d'accepter de le garder avec elle à condition, bien sûr, qu'il ne reprenne pas sa forme humaine. Mais le lendemain, elle le retrouve, serré contre elle ... et sous sa forme de jeune homme à lunettes, aux longues, longues oreilles. Rupture nouvelle et brutale, Alice traitant sans vergogne un Peter White suppliant de mufle. Rappelons au passage que la jeune fille oublie la façon bien particulière qui est la sienne, dans le tome II, de saisir les oreilles de White (ainsi qu'on fait pour tout lapin) car, selon ses propres dires, "elle n'y peut rien : c'est plus fort qu'elle..."

Mais les connotations sexuelles les plus ambiguës sont à chercher, à mon sens, dans les deux épisodes précédents, qui voient Alice arriver à La Chapellerie, toujours dans l'intention de dénicher quelque chose à lire. le maître de maison et son bras droit, le Lièvre de Mars, sont provisoirement absents. Alice ne trouve, pour une fois à leur poste, que Dee et Dum, ces deux gamins de douze-treize ans, toujours armés l'un comme l'autre d'une imposante hallebarde mais qui sont tout heureux de la revoir. Après quelques bavardages, ils proposent à la jeune fille de lui faire voir la chambre qu'ils partagent (ils sont jumeaux et pratiquement inséparables) et les innombrables trésors qu'elle contient. Pour Dee et Dum, quand on parle "trésors", on veut dire "armes." Plus encore que pour les autres personnages - après tout, Julius a horreur de la violence, Peter White sort assez rarement son pistolet et s'occupe activement des affaires de la Reine et de son royal époux, Blood Dupré, bien que chef de la Pègre locale, possède un bureau bourré de livres et Elliott March ne semble vraiment tenté d'en venir aux mains qu'avec le Lapin Blanc - les armes sont, chez ces deux-là, une véritable obsession.

Or, dans touts les civilisations, les armes ont toujours été tenues pour des substituts phalliques. de ces substituts, anciens et modernes, la chambre de Dee et de Dum, par ailleurs dans un ordre assez raisonnable, déborde de tous les côtés. Leur dernière trouvaille est une lame magnifique qu'Alice admire pour leur faire plaisir. Réaction qui les enthousiasme tellement qu'ils lui proposent de l'essayer. Non pas comme Elliott March avait tenté de lui apprendre à tirer au revolver, mais en leur compagnie ! le plus hallucinant, c'est que les jumeaux n'y voient pas malice - en tous les cas en apparence - et qu'ils sont prêts à tailler, couper, faire saigner la malheureuse, le tout dans la plus grande joie et tout en lui vouant un amour sincère ...

C'est à ce moment que déboulent le Lièvre de Mars et son patron, lesquels s'empressent de tirer Alice de ce mauvais pas ! Tandis que March reste en arrière pour passer un bon savon aux incorrigibles Dee et Dum, Dupré propose à la jeune fille de le suivre dans son bureau et d'y choisir tous les livres qu'elle voudra. Il lui propose même de rester à lire, sur un petit divan, pendant que lui-même travaille. Au début, tout se passe bien. Puis, Dupré commence à faire un peu la cour à Alice mais rien de bien méchant. Jusqu'au moment où la jeune fille lui avoue l'avoir vu avec la Reine de Coeur, dans la roseraie de sa propriété. le Chapelier explose alors et entreprend quasiment d'étrangler la jeune fille jusqu'à ce que celle-ci parvienne à souffler que, puisque Vivaldi est "l'amante" de Dupré ... le Chapelier, alors, lâche sa proie et recouvre son calme. Mais Alice s'enfuit, cela va de soi, après une scène qui fait penser, sans doute aucun, à une tentative de viol.

Le goût prononcé du Chapelier envers Alice est encore souligné par l'avant-dernier épisode du tome. Il se rend en effet à la Tour de l'Horloge, terrain neutre en principe (c'est-à-dire qu'on n'a pas le droit d'y utiliser une arme, quelle qu'elle soit) pour y affirmer son désir de voir Alice déménager en son manoir. Julius refuse tandis que Dupré, qui est loin d'être stupide, lui lance ces mots inquiétants : "Pour elle, tu es encore plus dangereux que moi, qui suis de la Mafia ..." Et l'incroyable se produit : le Chapelier tire son arme, Julius en fait autant et les deux hommes s'affrontent (ce qui est très révélateur, ne trouvez-vous pas ? ). Julius ne doit d'être sauvé que par l'arrivée impromptue de son "associé", Ace, le Chevalier de Coeur, venu lui rapporter des montres ...

Il est intéressant - et parfois amusant - de comparer ce que, de nos jours, les mangakas glissent dans certaines de leurs séries pour ados et ce que certains de nos auteurs occidentaux, spécialistes du roman "à l'eau de rose", tels Delly ou Max du Veuzit étaient capables de faire (sans le dessin, bien sûr) dans quelques uns de leurs romans, destinés aux jeunes filles. Quant aux auteurs de romans dits "populaires", comme Charles Mérouvel, champion sans rival des titres on ne peut plus suggestifs, ils étaient encore plus explicites.

Les époque changent, le monde évolue mais les désirs demeurent, variant simplement leurs masques pour mieux surprendre (et mieux plaire) au public. Enfin quelque chose qui rassure dans le monde de fous où nous vivons ! Cela ne mérite-t-il pas une certaine indulgence envers les créateurs des mangas et le pardon généreux accordé à quelques unes de leurs faiblesses ? Cela ne mérite-t-il pas, surtout, qu'on s'intéresse avec le plus grand sérieux à ce genre, certes hybride, mais qui produit tant de fruits à l'arôme si riche et à la texture presque sans défaut ? ... ;o)
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