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Critique de SophianeLaby


Manger. On ne pense jamais à ce que représente cette habitude évidente, ce geste millénaire, ce réflexe primitif. On a des plats, des jolis couverts, des maniques trouées, des recettes de grands-mères, des assiettes dépareillées dans lesquelles on mange tous les jours, l'air de rien. Karolina Ramqvist y pense, elle. À la nourriture, à outrance, depuis toujours.

Elle explore trois générations de gourmandise. Sa grand-mère, végétarienne avant l'heure, qui a connu la guerre et la privation, et sa recette espiègle de riz au lait. Sa mère, plus frugale, qui s'étonne à peine lorsque la petite engloutit treize clémentines. Et puis ses propres souvenirs de douceur, d'amertume, d'acidité. D'inquiétude aussi. “Un matin, lorsque je suis entrée dans la cuisine, ma mère m'a dit qu'il n'y avait ni lait ni pain. Plus rien.”

“Affamée non seulement de nourriture mais du reste”, Karolina prend conscience de la puissance et de la richesse de la cuisine. le réconfort d'un bol de bonbons. le pouvoir de consolation des brioches préparées par une grand-mère - “si j'avais un coup de blues, il me suffisait d'en manger quelques-unes.” L'odeur du pain grillé, capable à elle seule d'effacer les querelles et les chagrins. “La cannelle et la pomme râpée. le crissement des noisettes que je coupais en morceaux et frottais les unes contre les autres, leur forme et leur couleur. La manière dont tout fusionnait.” L'importance de l'alimentation, celle qui est bonne pour la santé, l'autre qui est bonne tout court. Les bavardages à table comme nulle part ailleurs. L'espoir qu'on place dans une petite assiette pleine d'amour. La déception face à une main d'enfant qui la repousse, dédaigneuse. La joie lorsqu'un convive se ressert. Comme nos goûts changent lorsqu'on grandit ou lorsqu'on rencontre quelqu'un. L'apprentissage des saisons, celle des huîtres et celle des asperges. La désolation de dîner seul. le corps qui réclame ou qui rejette. Toutes ces choses qu'on n'arrive pas à exprimer et qui terminent dans nos ventres.

Il faut des années à Karolina pour comprendre que la nourriture est pour elle une prison. “À la moindre difficulté, j'en venais à penser à quelque chose à manger, n'importe quoi.” Dépendance, trouble alimentaire, addiction, difficile de mettre des mots sur cette faim insatiable qu'elle tente en vain d'apprivoiser. Sur cette sensation de vide malgré l'abondance.

Reste l'autre sensation. Celle de la délectation. Celle qu'on a reçue en héritage ou apprise. Celle qui nous envahit après un bon repas, ou après un bon livre, les mains croisées sur le ventre, les yeux mi-clos, un soupir de ravissement aux lèvres.
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