La plus grande leçon que j'avais apprise, c'est qu'il faut du temps pour devenir soi-même. Mon histoire ne se résumait pourtant pas à surmonter des obstacles. Comme la rivière, j'avais aussi rassemblé en chemin tous les éléments minuscules me reliant à tout le reste, et ce faisant, j'étais arrivée ici, avec deux poignées d'humus dans mes paumes et un cœur encore en train d'apprendre à ne pas avoir peur de lui-même. J'avais été façonnée par mes proches - ma famille disparue et mon amour perdu, les amitiés trouvées, bien que peu nombreuses -, par mes pêchers qui avaient survécu et tous les arbres qui m'avaient offert un abri; par les êtres rencontrés sur le parcours, par chaque goutte de pluie et chaque flocon de neige tombé sur mon épaule, chaque souffle de brise; par tous les sentiers que j'avais foulés, tous les endroits où j'avais posé les mains et la tête, et tous les ruisseaux pareils à celui qui était devant moi, dévalant la colline, gagnant en force grâce à la gravité, tourbillonnant, puis négociant la courbe du méandre suivant, donnant autant qu'il prenait dans un accord silencieux avec toute chose vivante.
« II parait que les habitants sont expulsés, dis-je,
uniquement pour entendre sa réponse.
- Déplacés, corrigea-t-il d'un ton monocorde. Pour laisser place au progrès, madame. »
Alors que l'adjoint reculait et me faisait signe de franchir le pont, je m’interrogeai sur les limites du progrès et me demandai si nous saurions nous arrêter avant de les franchir.
Une règle que ma mère m'avait apprise par exemple, c'est qu'une femme a tout intérêt à parler le moins possible.
La maison avait cette odeur propre aux vieilles demeures – une odeur qui racontait des histoires, parlait de décennies, de petits déjeuners cuisinés au beurre, de café noir, et de robinets qui fuyaient, une odeur de famille, de vie et de bois vieilli.
Mais porter toute seule ton chagrin, ce n'est pas de la force, V. C'est une punition, purement et simplement.
Quand les coups frappés à la porte vous réveillent en sursaut ; quand vous distinguez les silhouettes raides de deux hommes en uniforme attendant derrière la vitre; quand votre coeur pèse déjà plus lourd qu'un boulet de canon mais qu'il vous faut tout de même aller ouvrir et recevoir la nouvelle - il n'y a pas de mots.
Selon [ ma mère ], il existait en toute chose une bonne et une mauvaise manière de faire, qu'il s'agisse de se tenir à table, de parler ou de coudre, voire d'étaler la mayonnaise sur une tranche de pain de mie, de battre les tapis ou d'inciter les poules à pondre davantage.
Imaginez une ville silencieuse, oubliée, en décomposition au fond d’un lac qui était jadis une rivière. Et au cas où vous vous demanderiez si les joies et les peines d’un lieu disparaissent, englouties par la montée des eaux, laissez-moi vous dire que non. Les paysages de notre jeunesse nous façonnent, et nous les portons en nous, riches de ce qu’ils nous ont donné, nous ont volé et de ce que nous sommes devenus. (p. 12-13.)
Ma maison se trouve au fond d'un lac. Notre ferme gît dans la vase, où rien ne distingue ses vestiges d'une épave. Des truites lisses et luisantes se baladent dans ce qui était ma chambre et dans le salon où notre famille se réunissait le dimanche.
Jamais de ma vie, je n'avais passé une journée entière au lit. Même quand j'étais malade, j'avais aidé ma mère à la maison [...].