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Critique de berni_29


Manifesto est un récit que j'ai trouvé magnifique, sensuel et très émouvant, écrit par Léonor de Récondo, auteure que j'ai ici découvert avec ravissement.
C'est un hommage à son père qui va mourir, Félix, le texte dit simplement mais avec beauté les mots pour accompagner la mort qui vient, celle d'un être cher.
Nous assistons aux dernières heures de Félix de Récondo, sculpteur, facteur de violons, artiste épris de liberté, espagnol. La mère de l'auteure et celle-ci sont appelées en urgence à l'hôpital, on leur dit alors qu'il n'y en a plus pour très longtemps...
Léonor de Récondo nous donne rendez-vous chambre 508 de l'hôpital où se trouve son père qui va mourir. Ce récit prête aussi de temps en temps la voix à celui-ci, à son passé, l'amour, le désir, la guerre d'Espagne, Gernika, l'exil, la rencontre avec un certain « Ernesto », en vérité nous le devinons, c'est Hemingway...
Le texte offre l'occasion de revisiter les terres anciennes où Félix cheminait avec gourmandise par monts et par vaux...
Puis c'est la guerre d'Espagne...
Aimer la nature, cela devient alors contempler une montagne qui sépare deux pans de la vie d'un enfant qui quitte son pays natal.
Ici le vieux chêne de Gernika surgit comme un étendard, un souvenir. Parler de Gernika, c'est parler de Franco, la guerre, le sang, les morts... Alors soudain, surgit l'image d'un enfant broyé par le souffle d'une bombe dans une rue de Pampelune.
À la chambre 508, il y a aussi le souvenir du chemin d'une petite fille vers un violon, parcouru par le même souffle que celui qui va fabriquer l'instrument avec ses mains de sculpteur, celui qui gît maintenant et qui va mourir.
Nous entendons dans les pages leurs respirations, celle d'un père et de sa fille, c'est beau. Celles qui sont venues tant d'années auparavant. Qui reviennent comme un écho, comme le chant d'un oiseau ou d'un violon...
Justement, plus tôt en effet, c'est l'harmonie d'un père qui dessine sur le papier le violon destiné à sa fille sur lequel elle fera vibrer l'archet.
La mort qui vient, cela veut dire que lorsque le corps refuse d'aller plus loin, c'est revenir à ce qu'il reste de légèreté.
Chambre 508, c'est une chambre d'hôpital qui convoque une dernière fois le ciel d'avant, clore une vie, laisser le temps à cela. Laisser le temps aux souvenirs, laisser venir la lumière de ce temps dans les interstices de nos vies qui filent entre nos doigts.
Chambre 508, c'est comme un pays où revenir une dernière fois.
L'auteure dit : « Tu es ailleurs et avec nous. »
« Tu vas partir lentement. »
C'est le récit d'une agonie qui dit la mort parfois avec d'autres mots, mais c'est juste mourir, dire cela, pourquoi ces mots sont-ils si durs à attendre et à dire, dire que l'on va partir lentement plutôt que dire que l'on va mourir...
J'ai aimé l'intrusion de la musique dans ce récit. Elle est comme une respiration indispensable. Sans doute parce que l'auteure est aussi une grande musicienne.
Alors celle-ci nous invite à penser qu'un morceau d'arbre deviendra un jour un violon et qu'à son tour le son qui en sortira fera vibrer la forêt d'où il vient.
Désormais, je regarderai ma guitare comme un fragment qui vient d'une forêt.
L'auteure nous parle du fil invisible qui relie certaines choses entre elles, des gestes, regarder un ciel et ses oiseaux, sculpter, se pencher vers un enfant, ressentir, écouter, devenir ce ciel qui attend.
Ce texte me parle, nous parle brusquement, lorsqu'un proche de nous va mourir. Nous le retenons comme cela, comme on peut, nous le faisons revivre à travers ses souvenirs et les nôtres qui s'en mêlent, comme Léonor de Récondo fait revivre ici les collines de l'Espagne natale de son père.
Je retiens plus particulièrement cet extrait du livre :
« Et je comprends soudain - comment pourrait-il en être autrement ? - que tu es sorti de cet espace clos, que tu as pris la tangente par le seul point de fuite qui existe dans cet espace : ton esprit. Ton esprit se promène ailleurs, à l'ombre d'une forêt, et il cause à d'autres. Nous sommes dedans, tu es dehors. »
J'ai aimé la grâce de ce récit, elle m'a touché.
Chambre 508 de cet hôpital, nous refermons alors tout doucement la porte, nous quittons nos proches partis parfois comme cela, nous refermons la page de ce livre émouvant qui nous rappelle à eux, tandis qu'un violon plus tard fait peut-être trembler le feuillage d'une forêt...
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