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Critique de AnnaDulac


Le nom si harmonieux de Bénédicte Ombredanne restera-t-il dans l'histoire de la littérature comme celui d'Eugénie Grandet qui a, paraît-il, inspiré Éric Reinhardt ?

On ne peut le dire encore, mais Éric Reinhardt, si attiré par le symbolisme, n'a probablement pas choisi le nom de son héroïne au hasard. On peut y lire « ombre d'âne », comme l'explique l'onomastique (s'appliquant à quelqu'un qui a peur de son ombre), ou mieux encore, comme on l'entend, « ombre d'âme »… Dans l'un et l'autre cas, ce patronyme répété comme une litanie dans le roman renvoie au mystère, au flou, à la profondeur. de plus, la sinuosité de sa sonorité épouse intimement le style ondoyant et surrané d'Éric Reinhardt .

Dans « L'amour et les forêts », Éric Reinhardt fait le portrait d'une femme ordinaire, une agrégée de lettres, mariée et mère de deux enfants. Elle s'appelle donc Bénédicte Ombredanne et comme de nombreuses lectrices, elle a écrit son admiration à Éric Reinhardt.
Dans sa lettre belle et bouleversante, elle dit à l'auteur ce qu'il a envie d'entendre … rendez-vous est donc pris à Paris. Lors de la seconde rencontre, Bénédicte Ombredanne vide son coeur et dévoile à Éric Reinhardt son infinie tristesse et le drame intime de sa vie : un mari qui la harcèle, la surveille, la rabaisse, l'humilie et l'entrave.

« Les seules phrases qu'il m'adresse sont des reproches ou des insultes. Mes yeux ne rencontrent jamais les siens. Il se comporte comme si je n'étais pas là. »

On imagine aisément Éric Reinhardt, qui se met en scène au début du roman, écoutant avec empathie Bénédicte Ombredanne (bottines, veste en velours, camée, bague ancienne) dans la « lumière vibrante de l'automne », sur la terrasse du café Nemours, place Colette.

Le roman pourrait très mal tourner à ce moment là et devenir une ode narcissique à l'auteur, une pure narration homodiégétique. Éric Reinhardt a alors l'intelligence de s'effacer et de laisser la place à l'histoire tragique et poignante de Bénédicte Ombredanne. de personne réelle, cette lectrice devient héroïne de roman et c'est tout l'intérêt de « L'amour et les forêts » que de jouer sur ces différents plans.

On peut lire le roman de plusieurs manières : comme le portrait d'une femme sensible et empêchée ; comme une variation sur le motif du harcèlement psychologique ; ou comme une réflexion sur le pouvoir de la littérature.

C'est cette dernière option qui donne tout son sens au roman d'Éric Reinhardt et son originalité, car il montre en quelque sorte un écrivain en pleine création et l'élaboration d'un personnage inspiré par une femme réelle et ordinaire.

Bénédicte Ombredanne et Éric Reinhardt partagent également une même passion pour des textes qui « sous le réel le plus aride déploient le merveilleux », qui ouvrent au lecteur « déshydraté » un accès vers son âme la plus profonde, qui sont « un secours », « une chaloupe », une façon de « s'extraire des eaux sépulchrales » et de « ne pas mourir ».

En insérant une nouvelle de Villiers de l'Isle-Adam au milieu de son roman, Éric Reinhardt nous donne probablement une démonstration de trop. le lecteur avait bien compris ce qu'est le symbolisme.

Au final, un roman extrêmement intéressant, hypersensible (des passages auraient pu être élagués : le dialogue sur Meetic n'apporte rien), mais qui touche au coeur, car il est écrit « avec droiture », comme l'est la vie de Bénédicte Ombredanne.


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