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Critique de Cannetille


Rééditant le schéma narratif de son roman L'amour et les forêts paru il y a presque dix ans, Eric Reinhardt poursuit son exploration des jeux de miroir et de la mise en abyme multiple avec une nouvelle histoire d'écrivain à qui une femme demande de s'inspirer de son récit de vie pour en faire une fiction.


En rémission d'un cancer, Sarah se retrouve soudain à questionner son existence bourgeoise jusqu'ici sans histoires. Mariée depuis vingt ans, la voilà qui tout à coup ne parvient plus à se satisfaire de ses soirées seule avec leurs deux grands enfants, son époux préférant s'isoler tous les soirs dans son bureau aménagé à la cave. Et puis, naïve qu'elle était, elle vient de réaliser que son mari détient les trois-quarts de tous leurs biens, y compris ceux acquis au cours de leur vie commune. N'obtenant de lui que de vagues réassurances paternalistes, elle décide de provoquer un électrochoc en prenant le large quelques semaines, mais, à sa grande stupéfaction, ne réussit qu'à déclencher un engrenage de brutalité qui la mènera jusqu'aux rivages de la folie.


Sous la plume de l'écrivain, les douloureuses confidences de cette femme donnent naissance à un nouveau personnage, Susanne, création mêlant au reflet de Sarah les propres projections de l'auteur. le récit avance donc triplement, partie de billard à trois bandes rebondissant sans cesse entre réel, symbolique et imaginaire, à mesure que l'écrivain propose à son premier personnage d'en affiner avec lui le second sans hésiter à faire référence à son vécu personnel. Réalité et distorsions se pourchassent alors à l'infini, le plus diabolique étant sans doute que, bien avant d'apprendre à se regarder au travers de son reflet littéraire, Sarah, brutalement évincée de sa vie par les perverses manipulations d'un mari habile à la faire passer pour ce qu'elle n'est pas, se retrouve réduite à observer les siens en catimini, ombres se découpant la nuit sur l'écran éclairé des fenêtres de leur appartement. Voyeuse espionnant une existence dont elle est sortie, elle a l'impression de ne plus exister. « Elle leur est complètement sortie de l'esprit. Comment peut-on disparaître aussi vite de la vie de ceux que l'on aime ? C'est comme si elle était morte de son cancer et qu'elle avait eu la faculté de revenir les voir vivre une fois décédée. Ils ont fait disparaître Sarah de leur vie aussi sûrement que l'eût fait la maladie si elle s'était révélée fatale. »


Alors, tandis que Sarah raconte, que Suzanne vit la même chose à sa façon, et que l'écrivain vient y mêler des éléments de sa propre histoire, le tourbillon de la narration s'accélère pour, de tous ces fils narratifs, ne plus faire qu'un, celui tout simplement de l'acte créateur dont on ne sait jamais vraiment où il va puiser sa source. Et comme l'auteur conserve tout du long un coup d'avance sur son lecteur, ce dernier, tenu en haleine, aura droit au renversement final inattendu, histoire de ne pas laisser le dernier mot aux réalités les plus méprisables du patriarcat.


Ce livre à la construction vertigineuse donne non seulement une voix à une femme qui refuse d'abandonner ses idéaux face à l'égoïste indifférence de son mari, mais fait aussi voyager le lecteur, avec beaucoup d'originalité, au coeur du processus créatif. Pris par les sentiments en même temps que séduit intellectuellement, l'on ne peut que s'incliner, entre coup de coeur et coup de chapeau.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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