Elle refusait la lutte pour ne pas avoir à supporter la défaite.
Ainsi vivaient les femmes de Margaretta. Elles apprenaient à tenir une maison, à élever des enfants, elles allaient parader au marché pour montrer combien elles étaient jolies et bien habillées et capables, tout cela pour qu’un garçon vienne les demander en mariage.
Jamais jeunes filles n'ont attendu le prince charmant avec plus de ferveur. Deux regards anxieux fixés sur la rue, des petites mains crispées sur la poitrine, et ce sourire sans joie, sourire de commande, sourire courageux, car on n'attrape pas les hommes avec des larmes.
Comme j'essayais timidement de suggérer que les femmes, à tout prendre, n'avaient guère moyen de s'exprimer dans aucun domaine, il me traita de "suffragette à la noix" et me dit que je ne ferais pas mal d'aller apprendre à faire le ménage auprès des Margarettiennes qui, au moins, savaient se tenir à leur place, elles.
Quand fut ouverte pour la moi la lourde porte du hall, le soleil entra à flots. Je me mis à rire de bonheur, j'étais vivante et semblable à celle que j'étais en arrivant. Les jeunes n'auraient plus jamais peur, ils penseraient à cette journée sans honte, et même avec fierté. Le monastère saurait qu'il fallait compter avec eux, et les jeunes ne l'oublieraient jamais.
Dès qu'ils me virent, ils mirent toutes les voitures en marche à la fois. Solveig me fit un signe en me désignant la place libre à côté d'elle. Je m'y installai incapable de dire un mot, tant la joie me serrait la gorge. Tout en conduisant les cheveux au vent, Solveig répétait : "C'est merveilleux, c'est merveilleux!"
Je la regardai aller et venir, changer de chaussures, accrocher sa cape dans une armoire, avec des gestes précis et naturels.
"Ça ne me dit pas pourquoi vous vous êtes levée si tôt, reprit-elle, sans l'ombre d'une gêne.
- Je vais vous le dire, mais vous pourriez peut-être me donner un peu de café." Elle eut un rire léger.
"C'est vrai, vous êtes comme ça le matin. Venez, je vais vous en faire."
Je dis, sans la quitter des yeux.
"Comment, vous n'en avez pas encore pris ?"
- Moi ? Non. Vous savez, je ne suis pas comme vous."