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Critique de SZRAMOWO


Dans son costume de chasse, Jean-René Trinquetier, trempé comme une soupe, était à la fois à l’affût et aux abois, son coeur battait la chamade, et de son havresac il ne restait qu’une peau de chagrin.

Pour le moment, il faisait le pied de grue devant une mare. A moins d’avoir la berlue, il avait vu une poule d’eau décoller en cinq sec devant lui. Elle lui avait donné du fil à retordre et il en connaissait un rayon à ce sujet. Il était tombé des nues en la voyant se dandiner à nouveau à portée de fusil, l’air de lui caqueter « bisque bisque rage ! «Il parlait à la cantonade aux arbres gris qui ne répondaient pas, et s’exclama «dans un quart d’heure, dernier carat, je tire !»

Il rejoignit son abri de chasse où la fête battait son plein et les invités étaient en liesse. Il plaça son discours de bienvenue sous l’égide de son hospitalité légendaire, mit en exergue la rude amitié des chasseurs, et à bon escient jugea important de conclure par un «carpe diem» inattendu. La formule allait faire florès.
Il aurait pu prendre la poudre d'escampette, en catimini, mais c’était une personne de bon aloi, et par acquit de conscience, sans aller jusqu’à faire amende honorable, il tenait à payer son écot et à s’assurer qu’aucun des associés ne le payait en monnaie de singe.

Jean-René était du genre à se casser la nénette, mais pas une saint-nitouche non plus, ni un type collet monté d’ailleurs, il n’avait jamais connu de joyeux drilles de cet acabit, des faux jetons qui menaient une vie de patachon, buvaient à tire-larigot et étaient dans le coaltar la moitié du temps, sachant que l’autre moitié il la passait à faire la nouba, à courir le cotillon pour certains ou le guilledou pour d’autres.
Les us et coutumes, ils s’en tamponnaient le coquillard et réclamaient à cor et à cri toujours plus de vin en bouffant comme des chancres. Ils étaient sans cesse pendus à ses basques.

Et c’est là que le bât blesse. Anémone l’avait prévenu :
- Jean-René, pendre la crémaillère de ton nouvel abri de chasse en invitant des inconnus avec lesquels tu n’as aucun atomes crochus, tu es à côté de la plaque, tu vas payer les agapes rubis sur l’ongle et ces gens ne vont te donner que de la roupie de sansonnet en échange. Mets la pédale douce de temps en temps.

Il fut un peu gêné aux entournures et ne sut quoi répondre. En son for intérieur il savait qu’elle avait raison et ne pouvait l’envoyer aux pelotes ni lui monter le bourrichon.
T’es bouché à l'émeri ! mon pauvre Jean-René reprit Anémone.
Il ne répondit rien et lui promit de se lever dès potron-minet pour préparer la fête, de trier les invités sur le volet, en évitant d’inviter le ban et l’arrière ban, tout cela en veillant à ne pas semer la zizanie parmi ses collègues.
C’est peu ou prou le quadrature du cercle ton histoire dit sa femme à brûle pourpoint encore que Jean-René pensa qu’elle l’avait dit au débotté, question de timing selon lui.
Lâche-moi la grappe, rétorqua-t-il, je ne vais pas faire tout un pataquès d’une simple sauterie, il y a belle lurette que je ne suis plus sous ta houlette comme tu veux bien le faire croire et pour ta gouverne, tu n’as pas voix au chapitre
T’es fier comme un pou ! reprit Anémone, t’as toujours eu besoin de jeter de la poudre aux yeux, même si t’es loin d’être plein aux as ! Tu n’as plus un sou vaillant en poche ! Tu pourrais les recevoir à la bonne franquette tes «amis» et pas leur sortir tout le saint-frusquin ! Tu vas faire un four !

Ce huis clos pesait à Jean-René. Il se faisait du mouron assez facilement.

Anémone lui reprochait sans arrêt de s’endormir sur ses lauriers, de passer sous les fourches caudines de son patron, d’être taillable et corvéable à merci, de ronger son frein et finalement d’amuser la galerie à ses dépens.
Notre mariage pensa-t-il soudain, est en train de tomber en quenouille et part à vau-l’eau, alors que durant leurs premières années de vie commune, il les emmenait par monts et par vaux.
Depuis, il avait l’impression d’être l’unique cheville ouvrière de son couple et il en avait sa claque. Anémone elle, se portait comme un charme, elle faisait bonne chère, et lui rabaissait le caquet à la moindre occasion, elle marchait sur les brisées de sa mère Odette...
Pourtant, il n’était pas disposé à battre sa coulpe. Il se réfugiait dans une nostalgie rassurante et se remémorait à l’envi leur histoire d’amour.
A l’époque, alors qu’il était déjà fondé de pouvoir à la Providentielle, sorti frais émoulu de l’école supérieur de commerce de Lille, Anémone Pillet-Jacquemard était stagiaire de fin d’études et à croquer.
Anémone cherchait un homme tous azimuts, les candidats étaient légion et se pressaient à la queue leu leu devant la porte de son bureau, elle faisait un tabac et misait sur tous les tableaux.
Jean-René décida d’entrer en lice et de jouer son va-tout en lui contant fleurette - l’usage de cette expression montre à quel point il était vieux-jeu - il coiffa au poteau Maurice Blanchard du contentieux. Ce dernier était au trente-sixième dessous et poussait des cris d'orfraie après sa défaite.
Le succès de Jean-René coupa le sifflet à nombre d’agités du bocal dans la maison et plus personne ne lui cherchait des noises.
Pour lui, l’affaire se présentait sous les meilleurs auspices, il ne comptait pas renvoyer aux calendes grecques sa demande en mariage.
Par la force des choses, jeux de main jeux de vilain, ils s’étaient retrouvés à prendre leur pied dans le plus simple appareil, et peu de temps après, ils convolèrent en justes noces et se marièrent en grande pompe. Ils ne voulaient pas rater le coche et atteindre l’âge canonique où le célibat pèse.

Depuis tout avait changé. Au grand dam de Jean-René, Anémone portait au pinacle son frère Valéry. Lorsque le frère et la soeur partaient en goguette, ils lui taillaient des croupières et le vouaient aux gémonies. Il avait déclaré forfait depuis longtemps, ce n’était pas un foudre de guerre, du moins n’avait-il pas la science infuse comme son beau-frère Valéry.

Il voulait profiter de cette journée de chasse, car demain il serait sur la sellette face aux inspecteurs fiscaux qui ne manqueraient pas de tirer à boulets rouges après le coup de semonce qu’ils avaient tiré en lançant une accusation de fraude,
Ils avaient la Providentielle dans le collimateur, et ne se priveraient pas de faire un carton. Il était sur le qui vive et s’attendait à être cloué au pilori à la place des responsable qui l’avaient laissé en rade.

En s’entendant répondre à leurs questions « cela semble frappé au coin du bon sens », Jean-René comprit qu’il n’était pas dans son assiette, à l’aune de son expérience passée des contrôles fiscaux cela n’était pas de bon augure. Comble de tout, il était à la bourre ce matin.
En temps normal il aurait pu donner le change, tailler une bavette avec les deux inspecteurs, discuter avec eux à bâtons rompus, mais là, il était tombé sur un bec.
Joseph Colignon de Verdier, l’inspecteur en chef, descendant d’une famille de grands commis de l’Etat depuis Colbert, en profita pour mettre Jean-René sous sa coupe et celui-ci ne put éviter de tomber dans le panneau :
«J’ai noté sur mes tablettes, lors du dernier contrôle, que vous aviez, à juste titre, fait une coupe sombre dans les dépenses de bouche...»
Sortons des sentiers battus, reprit l’autre inspecteur, un syndicaliste formé sur le tas, pas vraiment un boute en train, Roger Beresinsky. Il était sans arrêt en bisbille avec ses collègues qu’il jugeait mous :
«Il y a péril en la demeure Mr Trinquetier ! Si vous ne bougez pas, cette affaire va défrayer la chronique, et vous ne ferez pas long feu, c’est moi qui vous le dit ! »
Joseph Colignon de Verdière ajouta avec un sourire carnassier :
«L’opinion va crier haro sur le baudet et vous serez mis à l’index ! »

les arguments des inspecteurs semblaient faire mouche, mais Jean-René, s’en tenait à sa devise : motus et bouche cousue.

« Nous allons croire que vous êtes de mèche avec votre patron, lui non plus n’est pas en odeur de sainteté, cela fait des lustres que nous le traquons, et nous le ferons tomber sans coup férir...croyez-moi, il va se retrouver à faire la manche !»

jean-René était sur la brèche, mais il n’avait qu’une envie : regagner ses pénates. Il était au bout du rouleau.

Il aurait mieux fait de sonner le branle-bas de combat dès le réveil, de s’équiper de pied en cap, de prendre ses cliques et ses claques, en un mot de faire l’école buissonnière. Il était vraiment dans la panade, Jean-René, il l’avait bel et bien dans le baba.

« D’ores et déjà notre conviction est faite. Nous vous laissons quartier libre jusqu’à demain matin, à vous de nous mettre sur la voie, vous avez les coudées franches, mais attention, pas d’entourloupe ! »

Jean-René rentra chez lui. Anémone l’attendait.
« Je te trouve bien mal luné ! » fit-elle.
Il la mit au courant en deux mots :
«J’ai maille à partir avec les services fiscaux, et les dés sont pipés ! Mais je leur ai posé un miroir aux alouettes et lorsqu’ils penseront avoir fait une touche, nous serons déjà loin.»
Avant qu’elle n’ait pu réagir, il poursuivit :
«Je pense que cette affaire est du pipeau, et comme dit ton frère, l’occasion fait le larron. Je n’ai jamais eu pignon sur rue, tu me l’a souvent reproché. Il est temps pour nous de passer la rampe et de profiter tout notre soûl de ce que nous avons bien ou mal acquis. Je ne voudrais pas que cela tombe dans l’escarcelle d’un suppôt de Satan désireux de nous placer sous sa férule.»

Merci aux éditions Christine Asin et Emmanuelle Pellé, aux dictionnaires Le Robert, et à Babelio de m’avoir attribué 200 drôles d’expressions dans le cadre d’une masse critique.
Sous la plume d’Alain Rey et avec l’apport facétieux de Stéphane de Groodt, ce livre est une référence indispensable aux amoureux des mots et de la langue française.
C’est au pied du mur que l’on voit le maçon, me répétait mon père. Confronté à l’écriture d’une critique pas évidente à rédiger, j’ai pris le parti de considérer l’ouvrage d’Alain Rey comme un mécano et, avec mes vis et mes boulons, j’ai assemblé les 200 expressions dans cette histoire que vous venez de lire. C’est un exercice que je vous recommande.
Livre indispensable, à placer dans votre bibliothèque, ou dans toute autre pièce de la maison, il enchantera votre famille et vos invités en leur procurant d’agréables instants de lecture, et favorisera les débats lors des soirées d’hiver ou les dîners familiaux.
Lien : http://desecrits.blog.lemond..
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