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Critique de colimasson


Les passions peuvent naître sans crier gare. A quiconque me dit : « je n'ai aucune passion » je réponds « laisse la passion t'avoir ». Ainsi Olivier Rey découvrit un jour sur wikipédia qu'il était spécialiste des questions du transhumanisme. Ce n'était pas le cas mais bientôt, il fut invité à plusieurs reprises à s'exprimer à ce sujet. Ainsi la passion vint à lui.


Olivier Rey ne s'intéresse pas au contenu manifeste du transhumanisme. Les petites puces dans les bras ou les machins qui clignotent, qui vibrent, qui clapotent, qui enregistrent, qui décryptent, qui déclament, qui explosent, qui contrôlent, qui analysent, qui robotisent – suffit d'un bon verre d'eau sur les puces pour les griller. le pseudo-matérialisme des scientifiques cache un profond idéalisme qui semble tout ignorer des réalités pragmatiques de la vie sur terre. Les scénarios pour le futur de ces no-life témoignent de leur trop grande imbibation à la sf et aux comics et e leur négligence des besoins énergétiques réels qu'impliquerait leur rêve d'une cyborgénisation du monde. Citons rapidement Jean Vioulac à ce sujet :


« C'est là toute la niaiserie des cyberprophètes, qui n'interrogent jamais l'infrastructure économique de leur mégamachine, dont l'abstraction dissimule l'énorme quantité d'énergie et de matière dont elle a besoin pour se produire et se reproduire. de ce point de vue, Matrix, le film des Wachowski, est plus lucide que tout ce qu'a pu écrire Teilhard de Chardin, puisqu'il reconnait que la Singularité technologique a besoin d'énergie, et que sous l'empire de l'esprit global, les hommes ne deviennent pas des anges, ils deviennent des piles. »


Olivier Rey recueille donc ma plus entière sympathie lorsque je le vois n'accorder aux scénarios transhumanistes les plus piqués des hannetons qu'une forme vague d'indulgence, de celle qu'un adulte accorde aux divagations d'un enfant sur le métier qu'il exercera plus tard. « Les promesses transhumanistes ne sont pas destinées à se réaliser. Mieux vaut donc ne pas perdre son temps à s'émerveiller ou à s'épouvanter du futur qu'elles dessinent. » Toutefois « leur véritable nocivité est ailleurs : elle réside dans leur faculté à captiver l'esprit, à le divertir de ce dont il devrait se soucier. Pour faire face à qui nous attend, l'urgence serait de diminuer notre dépendance à la technologie. »


Quelles sont les raisons qui conduisent l'homme d'aujourd'hui à (s'imaginer) désirer les promesses du transhumanisme ? La structure économique bien sûr qui l'agrippe si bien dans son travail de consommateur qu'il croit n'avoir pas d'autre moyen de justifier son travail de pseudo-producteur que d'acheter les nouveaux trucs. Mais si « assurément, les intérêts économiques qui soutiennent la diffusion de l'idéologie transhumaniste sont massifs et d'une importance décisive », « pour autant, ne voir dans le transhumanisme qu'une superstructure au service d'une infrastructure économique serait une erreur. Est-ce le marché qui en appelle à l'imaginaire et au pulsionnel pour mieux assurer son emprise, ou bien sont-ce l'imaginaire et le pulsionnel qui en appellent au règne du marché, dans l'espoir de se satisfaire ? »


C'est à ce point de son discours qu'Olivier Rey commence vraiment à bien me plaire puisque, sans s'en recommander, il adopte une démarche psychanalytique en inversant les termes du rapport du sujet au monde : fini de se plaindre du monde qui persécute le sujet – voyons plutôt en quoi le sujet crée un monde uniquement pour avoir la jouissance de pouvoir s'en plaindre. L'inconscient qui opère en ce domaine mérite une approche philosophique : il désignera la partie de notre univers symbolique qui est considérée comme évidente dans le sens où elle forge l'ensemble des habitudes morales et intellectuelles de l'humanité. Olivier Rey choisit d'étudier principalement la coupure qui s'est lentement produite à la fin du Moyen Âge, dans le passage du paradigme religieux au paradigme scientifique. Il ne nous invite pas à revenir au « monde d'avant » dans une énième utopie idéaliste mais à rétablir un rapport de plus grande sympathie avec la simplicité naturelle afin de permettre « une connaissance qui ne serait pas au service d'un « faire » » mais une connaissance qui « aiderait les hommes à comprendre leur situation dans le Tout du monde ». Nous parlons ici d'humilité.


Si Olivier Rey considère ainsi que les fantasmes transhumanistes ont peu de chance de donner consistance à une nouvelle forme de société et d'humanité, la volonté cependant de cheminer en cette direction n'est pas seulement fantasmatique, et donc dénuée d'effet. Elle s'accompagne au contraire d'une transformation profonde des discours dans leur visée à permettre l'avènement de nouvelles croyances sur lesquelles s'établissent de nouvelles contraintes. C'est en prenant conscience de l'artificialité de ces discours – en les comparant à ceux, plus dignes, quoique sans être jamais parfaits, qui ont soutenu l'humanité des temps antérieurs – que nous pourrons en reconnaître l'accidentalité, les destituant ainsi du pouvoir imaginaire qu'ils tentent d'imposer. Sans quoi les effets du transhumanisme, quand bien même celui-ci n'aboutirait jamais dans sa forme la plus achevée, risqueraient bien d'être réels. Nous commençons d'ailleurs à le percevoir depuis une paire d'années.


C'est en refusant d'abord d'accorder le moindre crédit au projet transhumaniste dans sa forme achevée (cf. Lacan « l'homme est un bon à rien, même pas capable de se détruire ») qu'une place sera à nouveau libérée pour permettre à un sain réalisme de reprendre vie.
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